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29.09.2016
Les mains négatives
Marguerite Duras 1978

      Les mains négatives (Marguerite Duras, 1978)

      On appelle « mains négatives » les mains trouvées sur les parois des cavernes magdaléniennes de l’Europe sud-atlantique. Ces mains étaient simplement posées sur la pierre, après avoir été induites de couleur. En général, elles étaient noires, ou bleues. Aucune explication n’a été trouvée à cette pratique.

      Devant l’océan
      sous la falaise
      sur la paroi de granit

      ces mains

      ouvertes

      Bleues
      et noires

      Du bleu de l’eau
      Du noir de la nuit

      L’homme est venu seul dans la grotte
      face à l’océan
      Toutes les mains ont la même taille
      il était seul

      L’homme seul dans la grotte a regardé
      dans le bruit
      dans le bruit de la mer
      l’immensité des choses

      Et il a crié

      « Toi qui es nommée, qui es douée d’identité, je t’aime »

      Ces mains
      du bleu de l’eau
      du noir du ciel

      Plates

      Posées écartelées sur le granit gris

      Pour que quelqu’un les ait vues

      Je suis quelqu’un qui appelle
      Je suis celui qui appelait qui criait, il y a trente mille ans

      « Je t’aime »

      Je crie que je veux t’aimer, je t’aime

      J’aime quiconque entendra que je crie

      Sur la terre vide, resteront ces mains, sur la paroi de granit face, au fracas de l’océan

      Insoutenable

      Personne n’entendra plus

      Ne verra

      Trente mille ans
      ces mains-là, noires

      La réfraction de la lumière sur la mer fait frémir la paroi de pierre

      Je suis quelqu’un, je suis celui, qui appelait, qui criait, dans cette lumière blanche

      Le désir

      Le mot n’est pas encore inventé

      Il a regardé l’immensité des choses, dans le fracas des vagues, l’immensité de sa force

      Et puis il a crié

      Au-dessus de lui les forêts d’Europe,
      sans fin

      Il se tient au centre de la pierre
      des couloirs
      des voies de pierre
      de toutes parts

      Toi, qui as un nom, toi qui es douée d’identité, je t’aime d’un amour indéfini

      Il fallait descendre la falaise
      vaincre la peur
      Le vent souffle du continent il repousse l’océan
      Les vagues luttent contre le vent
      Elles avancent
      ralenties par sa force
      et patiemment parviennent
      à la paroi

      Tout s’écrase

      Je t’aime plus loin que toi
      J’aimerai quiconque entendra que je crie que je t’aime

      Trente mille ans

      J’appelle

      J’appelle celle qui me répondra

      Je veux t’aimer, je t’aime

      Depuis trente mille ans, je crie, devant la mer, le spectre blanc

      Je suis celui qui criait qu’il t’aimait, toi

      La voix off de Marguerite Duras dans Les mains négatives (1978).

       

      Image de Les mains négatives (Marguerite Duras, 1978)

      • Marguerite Duras Les mains négatives
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