Les mains négatives

Les mains négatives (Marguerite Duras, 1978)

On appelle « mains négatives » les mains trouvées sur les parois des cavernes magdaléniennes de l’Europe sud-atlantique. Ces mains étaient simplement posées sur la pierre, après avoir été induites de couleur. En général, elles étaient noires, ou bleues. Aucune explication n’a été trouvée à cette pratique.

Devant l’océan
sous la falaise
sur la paroi de granit

ces mains

ouvertes

Bleues
et noires

Du bleu de l’eau
Du noir de la nuit

L’homme est venu seul dans la grotte
face à l’océan
Toutes les mains ont la même taille
il était seul

L’homme seul dans la grotte a regardé
dans le bruit
dans le bruit de la mer
l’immensité des choses

Et il a crié

« Toi qui es nommée, qui es douée d’identité, je t’aime »

Ces mains
du bleu de l’eau
du noir du ciel

Plates

Posées écartelées sur le granit gris

Pour que quelqu’un les ait vues

Je suis quelqu’un qui appelle
Je suis celui qui appelait qui criait, il y a trente mille ans

« Je t’aime »

Je crie que je veux t’aimer, je t’aime

J’aime quiconque entendra que je crie

Sur la terre vide, resteront ces mains, sur la paroi de granit face, au fracas de l’océan

Insoutenable

Personne n’entendra plus

Ne verra

Trente mille ans
ces mains-là, noires

La réfraction de la lumière sur la mer fait frémir la paroi de pierre

Je suis quelqu’un, je suis celui, qui appelait, qui criait, dans cette lumière blanche

Le désir

Le mot n’est pas encore inventé

Il a regardé l’immensité des choses, dans le fracas des vagues, l’immensité de sa force

Et puis il a crié

Au-dessus de lui les forêts d’Europe,
sans fin

Il se tient au centre de la pierre
des couloirs
des voies de pierre
de toutes parts

Toi, qui as un nom, toi qui es douée d’identité, je t’aime d’un amour indéfini

Il fallait descendre la falaise
vaincre la peur
Le vent souffle du continent il repousse l’océan
Les vagues luttent contre le vent
Elles avancent
ralenties par sa force
et patiemment parviennent
à la paroi

Tout s’écrase

Je t’aime plus loin que toi
J’aimerai quiconque entendra que je crie que je t’aime

Trente mille ans

J’appelle

J’appelle celle qui me répondra

Je veux t’aimer, je t’aime

Depuis trente mille ans, je crie, devant la mer, le spectre blanc

Je suis celui qui criait qu’il t’aimait, toi

La voix off de Marguerite Duras dans Les mains négatives (1978).

 

Image de Les mains négatives (Marguerite Duras, 1978)

ARTICLE
29.09.2016
NL FR EN
In Passage, Sabzian invites film critics, authors, filmmakers and spectators to send a text or fragment on cinema that left a lasting impression.
Pour Passage, Sabzian demande à des critiques de cinéma, auteurs, cinéastes et spectateurs un texte ou un fragment qui les a marqués.
In Passage vraagt Sabzian filmcritici, auteurs, filmmakers en toeschouwers naar een tekst of een fragment dat ooit een blijvende indruk op hen achterliet.
The Prisma section is a series of short reflections on cinema. A Prisma always has the same length – exactly 2000 characters – and is accompanied by one image. It is a short-distance exercise, a miniature text in which one detail or element is refracted into the spectrum of a larger idea or observation.
La rubrique Prisma est une série de courtes réflexions sur le cinéma. Tous les Prisma ont la même longueur – exactement 2000 caractères – et sont accompagnés d'une seule image. Exercices à courte distance, les Prisma consistent en un texte miniature dans lequel un détail ou élément se détache du spectre d'une penséée ou observation plus large.
De Prisma-rubriek is een reeks korte reflecties over cinema. Een Prisma heeft altijd dezelfde lengte – precies 2000 tekens – en wordt begeleid door één beeld. Een Prisma is een oefening op de korte afstand, een miniatuurtekst waarin één detail of element in het spectrum van een grotere gedachte of observatie breekt.
Jacques Tati once said, “I want the film to start the moment you leave the cinema.” A film fixes itself in your movements and your way of looking at things. After a Chaplin film, you catch yourself doing clumsy jumps, after a Rohmer it’s always summer, and the ghost of Akerman undeniably haunts the kitchen. In this feature, a Sabzian editor takes a film outside and discovers cross-connections between cinema and life.
Jacques Tati once said, “I want the film to start the moment you leave the cinema.” A film fixes itself in your movements and your way of looking at things. After a Chaplin film, you catch yourself doing clumsy jumps, after a Rohmer it’s always summer, and the ghost of Akerman undeniably haunts the kitchen. In this feature, a Sabzian editor takes a film outside and discovers cross-connections between cinema and life.
Jacques Tati zei ooit: “Ik wil dat de film begint op het moment dat je de cinemazaal verlaat.” Een film zet zich vast in je bewegingen en je manier van kijken. Na een film van Chaplin betrap je jezelf op klungelige sprongen, na een Rohmer is het altijd zomer en de geest van Chantal Akerman waart onomstotelijk rond in de keuken. In deze rubriek neemt een Sabzian-redactielid een film mee naar buiten en ontwaart kruisverbindingen tussen cinema en leven.