Encontros

Encontros

Enchanted by the songs of the inhabitants of Peroguarda in the southern Portuguese region of Alentejo, the young Portuguese poet António Reis, the Corsican researcher of Portuguese folk music Michel Giacometti and the film-maker Paulo Rocha respectively visited the village in the late 1950s. Encontros attempts to describe a tribe made up of sounds, music, poetry and people; an analogous and extraordinary tribe that does not belong to any geographically known territory. The film interweaves several contemporary and past meetings between people and memories. This interweaving makes us think about what we are made of and how memory, the ways others see us and the gesture of sharing enrich us.

 

« Le centre de la vie se trouve au sud du Portugal depuis des dizaines d’années et nous ne le savions pas. Comme ces trous noirs dont parle Alexandre Medvedkine dans Le Tombeau dAlexandre de Chris Marker, il concentre en un espace minime la plus grande énergie. [...]

Le centre : mais il n’y a pas de centre - d'ailleurs, le village vers lequel on semble se diriger dans une longue avancée initiale se dédoublera. Sur cette promenade qui par une route de terre passe une crête et débouche sur un paysage de collines verdoyantes on entend deux voix, une femme et un homme, qui donnent à la fois les leitmotive et le propos. « Tout est harmonie et enchantement », dit la femme. L'homme parle au passé. Seule est restée la mémoire. « Pourquoi des gens éloignés se sentent-ils familiers? »

Le film part à la recherche d’hommes et d’actes du passé travers leurs traces. Suivant des itinéraires qui parcourent le pays, et en un détour exceptionnel la Méditerranée, il tisse les liens qui peuvent unir ces actes. « Qa allait disparaitre, it fattait Ie filmer », dit un personnage qui sera identifié plus tard. Il y a beaucoup de lieux, de rencontres, de déplacements. Est-ce parce que justement ce centre, « harmonie et enchantement », est hors de I'histoire? Mais rien de tel n'existe. Il s'agit simplement de temps diff rents. Et du coup de sentir le mouvement de I'histoire, le souvenir d'une attente, d'une libération qui n'arrivait pas, en même temps que Ie mouvement lent, qui passe par-dessus les si cles et ressemble à une immobilité. »

Bernard Eisenschitz1

 

« L’enjeu y est double : faire revivre les souvenirs d’une époque révolue où le travail dans les champs se faisait à la main, et devancer la disparition des moyens de propagation de cette mémoire. Car la transmission se fait de manière orale, par le biais de chants, de récits et de poèmes composés par les paysans eux-mêmes, que la caméra capte avec une attention délicate. La poésie devient alors un moyen de reconstruire la mémoire: « le souvenir de s’être souvenu de quelque chose ». Exhumer le passé, à travers la projection publique d’un film tourné jadis dans le village avec les paysans comme acteurs, et le faire vivre au présent, par les réactions suscitées chez les anciens qui s’y reconnaissent, est une des nombreuses belles idées poétiques du film. Sans en oublier la dimension politique: recueillir les témoignages de la souffrance au travail est devenu un enjeu plus que d’actualité. »

Julien Marsa2

 

« Du coup, ce qui intéresse théoriquement dans Encontros, c’est la question de la relève du réel. Le cinéma est un art pour la mort, par les morts, c’est-à-dire pour la vie. Du moins, le vrai cinéma, pas celui de l’industrie, pas le paravent que dénonçait Daney, pas le souvenir-écran. Non, un cinéma qui ressuscite ce (ceux?) qu’il touche. A Hollywood, les films sont faits pour être jetés après consommation. Tout le monde se fout de les préserver. Mais il existe un cinéma qui fait parler les morts. L’acteur de ces films sait qu’il imite la vie pour l’éternité. Même morte, Dietrich est encore avec nous. »

Eric Loret3

 

“After the completion of my previous film, Polifonias – dedicated to Michel Giacometti, the Corsican savior of the memory of popular Portuguese culture – was born the desire to traverse certain paths that had been pointed out to me: that of the home of António Reis (then still a poet) in Alentejo, in the village of Peroguarda, the very same place in which Michel Giacometti wished to be buried, and others I wished to visit for my own reasons, such as, for example, to approach Paulo Rocha’s film Mudar de Vida, which fascinated me particularly by the interaction between the narrated story and the end of the fishing communities of Furadouro.

Little by little it became clear what, beneath the surface, constituted in my mind one of the faces of Encounters: the echo of the past, of a time gone by, of a culture which had died out, but an echo one hears in the present and which resounds in its appeals. It thus became a question not of deploring what has disappeared, not of making a nostalgic return to the past or of bringing fragments of the past into the present, but of letting go of memory to make way for the living. Because of that, the film has a strange relationship with time. Intermingling and telescoping various ‘historical’ times, the chronology loses its importance – the dates no longer really have such a thing. The past no longer occupies the place one traditionally attributes to it.

I see the film in the text of Sérgio Godinho, which recurs rhythmically over the course of Encounters: ‘They say that in death one comes from afar to encounter something. We find reincarnation in the recognition of a voice, and some far-off voice brings us that familiar certainty that we have never been alone. For we find familiarity on a park bench where we have never been seated. Because a recollection that fades lives on in our memory. What mystery of memory is this? That of life, which rubs things out, then rewrites what it continues to feel.’”

Pierre-Marie Goulet4

 

Cyril Neyrat: Le film a donc trouvé sa forme au fur et à mesure, sans projet préconçu?

Pierre-Marie Goulet: C’est l’histoire des deux écoles de sculpture, chinoises je crois. Toutes deux travaillent dans un énorme respect du matériau utilisé. L’une préconise que le sculpteur conçoive d’abord en totalité son projet dans sa tête. Et une fois celui-ci conçu, il se met en quête du bloc de pierre ou de bois dont le fil, les veines correspondent à la sculpture ‘préconçue’ - dût-il consacrer le reste de sa vie à cette quête. L'autre école choisit un bloc de pierre ou de bois et se laisse guider par les veines de la pierre ou le fil du bois, en jouant avec mais en les respectant toujours jusqu'à ce que naisse la forme de la sculpture. Pour ma part, je crois que je ne cesse, dans le même film, de passer d'une école à l'autre. 

Pierre-Marie Goulet en conversation avec Cyril Neyrat5

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UPDATED ON 21.03.2022