Follows patients and caregivers at a psychiatric centre with a unique floating structure located in the middle of the Seine river in central Paris.
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Comment est né ce film ?
Nicolas Philibert : J’ai commencé à entendre parler de l’Adamant il y a une bonne quinzaine d’années, quand ce n’était encore qu’un projet. À l’époque, la psychologue clinicienne et psychanalyste Linda de Zitter, avec qui je suis resté très lié depuis le tournage en 1995 de La moindre des choses, à la clinique psychiatrique de La Borde, faisait partie de l’aventure exaltante qu’a été sa création : pendant des mois des patients et soignants s’étaient réunis autour d’une équipe d’architectes pour en jeter les bases. Et ce qui n’était à l’origine qu’une rêverie utopiste a fini par se réaliser.
Des années plus tard, il y a sept ou huit ans, j’ai eu pour la première fois l’occasion d’aller sur l’Adamant. L’atelier Rhizome m’avait invité à venir parler de mon travail. Rhizome est un groupe de conversation qui a lieu chaque vendredi dans la bibliothèque. De temps à autre, cinq ou six fois par an, on y accueille un invité : un musicien, une romancière, une philosophe, un commissaire d’exposition... Ce jour-là j’avais passé deux heures devant un groupe qui s’était préparé à m’accueillir en visionnant quelques-uns de mes films et n’avait eu de cesse de me pousser dans mes retranchements. Depuis mes débuts de cinéaste, j’ai eu de nombreuses occasions de parler devant un public mais cette fois, j’en étais revenu particulièrement revigoré, éperonné par les remarques des personnes qui étaient là. L’envie de refaire un film en psychiatrie, d’« aller voir là- bas qui je suis » [Linda De Zitter] me travaillait depuis un bon moment, et cette journée m’a renforcé dans ce désir. Décidément, certains patients et soignants plaçaient la barre très haut ! Il faudra pourtant que j’attende quelques années avant de m’y mettre, car j’étais mobilisé par un autre projet.
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Pourquoi alors avoir choisi un lieu qui n’est pas représentatif du marasme que vous décrivez, le risque n’était-il pas de donner une image très partielle de la psychiatrie ?
Quelle psychiatrie ? « La » psychiatrie n’existe pas, elle est plurielle, multiple, et toujours à réinventer. Celle que j’avais envie de montrer, c’est cette psychiatrie humaine qui résiste encore et qui est si menacée. Qui résiste à tout ce qui partout défait la société, qui tente de rester digne. Le film n’est pas explicitement de ceux qui dénoncent. En prenant la direction inverse, il le fait en creux, il énonce. Comme l’écrivait encore Jean-Louis Comolli à la veille de sa mort « la véritable dimension politique du cinéma : faire que soit reconnue, entre l’écran et la salle, la dignité des uns par les autres ». [En attendant les beaux jours, Éditions Verdier, 2023]
L’Adamant est un lieu atypique mais il n’est pas le seul. Et l’équipe qui l’anime n’est pas non plus la seule à être imaginative, il ne faut pas fétichiser. La question de la représentativité n’est pas au cœur de mes préoccupations. Quand j’ai tourné La moindre des choses, la clinique de la Borde n’était pas non plus représentative de la psychiatrie de son temps, et ne l’est toujours pas aujourd’hui. Ce sont des lieux qui expérimentent. Qui prennent des risques. Il faut sortir des clichés, montrer aux spectateurs que la contention n’est pas une solution, changer l’image des malades, si dégradante. La base c’est la relation humaine. C’est tout ce qui est mis en place, tout ce qui est tenté, en ayant recours à des outils divers, sans exclusive, pour que la rencontre ait une chance d’avoir lieu. Il n’y a ni recette, ni baguette magique. La psychiatrie « humaine » - un pléonasme ? - c’est celle qui tâtonne, qui fait du sur-mesure. Qui considère les patients comme des sujets, qui reconnaît leur singularité sans chercher à tout prix à la domestiquer.1
« On est parfois habité par une certaine fragilité qui nous touche, chacun individuellement. Quand on filme des personnes qui ont des troubles psychiques, certaines choses font écho. Je me souviens, la première fois que j'ai fait un film en psychiatrie, c'était à la clinique de La Borde à l'été 1995. Je suis arrivé là-bas à reculons, comme si j'avais peur d'être contaminé. J'avais une vraie trouille. En faisant ce deuxième film, j'ai dépassé cette peur-là. J'ai compris que si je souhaitais refaire un film en psychiatrie, c'est parce qu’il y a chez moi des zones qui sont touchées par ce monde-là, des choses qui me gênent. Ça se traduit par des sentiments mélangés parce que d’un autre côté, ça me soigne. C’est un bel endroit dans lequel les gens essaient de se parler, de s'écouter alors que nous vivons à une époque où les gens s'écoutent de moins en moins. »
Nicolas Philibert2
- 1Dossier de presse Sur l'Adamant.
- 2« Nicolas Philibert : "Sur l'Adamant",» France Inter, 18 avril 2023.