Do You Remember Revolution

Loredana Bianconi introduit son film

En Italie, au milieu des années 70, Adriana, Barbara, Nadia et Susanna ont 20 ans quand elles décident d’entrer dans la lutte armée, de quitter leur vie sociale et leur famille pour faire de la révolution le centre et le but de leur existence. Elles rejoignent les Brigades rouges, considérées comme la plus grande organisation terroriste communiste d’après-guerre en Italie, et y deviennent des personnages clés. Après de longues années de prison, la réalisatrice Loredana Bianconi filment les quatre femmes alors qu’ils essayent de raconter chacune leur propre expérience. Dans Do You Remember Revolution (1997), elles parlent des raisons politiques qui les ont d’abord soutenues, des conflits, des doutes, des déchirures qui ont marqué leur vie de femme prise dans le tourbillon de la guerre. Un parcours qui débouche sur la condamnation de la lutte armée et la douleur des vies détruites : celle des victimes et la leur. A partir d'aujourd'hui, Do You Remember Revolution est disponible dans le monde entier sur la plateforme de VOD Avila. Dans le texte ci-dessous, Loredana Bianconi introduit son film.

Do You Remember Revolution (Loredana Bianconi, 1997)

« Douce révolution, je voudrais que mes larmes se transforment en autant de balles »

– sur le mur d’une école à Milan, 1972

 

J’appartiens à la génération des jeunes gens qui, dans l’Italie des années 70, partagea l’anxiété de changer le monde et tenta une solidarité dans la lutte contre un ensemble d’institutions répressives : institutions policières, gouvernementales, judiciaires, scolaires et familiales. Le désenchantement et la violence répressive fit apparaître une opposition plus radicale au sein de ce mouvement de contestation, opposition qui choisit la voie de la lutte armée. Quelques milliers de personnes choisirent cette voie et devinrent ainsi les protagonistes d’une dizaine d’années dites « de plomb ». Parmi ces personnes qui optèrent pour les armes et la clandestinité, il y avait des femmes. Certaines de ces femmes sont devenues « chef de colonne » des Brigades Rouges, le plus important des groupes armés italiens. Avec d’autres, j’ai suivi avec appréhension les premières actions de ces combattantes. Nous les savions motivées et déterminées politiquement, ce qui leur donnait une certaine dignité. Mais nous ne pouvions comprendre leur choix. Elles nous semblaient trahir un mouvement politique qui était né en mettant en crise les formes traditionnelles de la politique : le mythe de l’organisation, les doctrines rigides, les mots d’ordre autoritaires, les actes de foi, la pratique de la violence.

Pourtant au début, des ambiguïtés, des hésitations, de la sympathie même ont caractérisé nos attitudes de « spectateurs de gauche » du phénomène lutte armée.

Les groupes armés étaient des organisations inconnues et secrètes ; ce qui, rapidement, créa une espèce de mythe à la fois dangereux et attirant. Hold-up, enlèvements, attentats « démonstratifs », incendies... toutes ces actions étaient une rupture totale et spectaculaire avec les rôles socialement imposés aux femmes. Il y avait là une symbiose complète et visible entre le sujet et sa volonté de révolte, de libération.

Mais la lutte armée atteignit des proportions hallucinantes. Aux sentiments ambigus succéda le rejet de l’idéologie qui avait soutenu leur action.

En Italie régnait un climat généralisé de peur et de suspicion. Chaque épisode de « terrorisme » se soldait par un renforcement de la répression et par un recul des garanties démocratiques. Les mouvements « antagonistes » étaient marginalisés, criminalisés. A la fin des années 1970, des milliers de personnes étaient emprisonnées ou sous surveillance, accusées de complicité ou de sympathie avec les « terroristes ».

C’est à l’occasion des nombreux procès qui eurent lieu dans les années 80 que m’est venu la volonté de questionner et de comprendre le parcours tant politique que personnel de ces femmes. J’ai eu l’occasion d’en entendre quelques-unes lors de rencontres et de séminaires. Mon ex-amie était aussi parmi elles. Chaque fois, ces témoignages et ces réflexions m’ont impressionné, tout comme j’étais impressionnée par la fermeté et le courage dont elles faisaient preuve quant à leur responsabilité après toutes ces années passées en prison.

C’est de ces rencontres qu’est né le besoin de faire entendre ces ex-combattantes. Réaliser un film basé sur leur témoignage sera une manière de les rencontrer au travers de leurs récits, leur histoire, leurs réflexions. A travers tout cela, il s’agira de revenir sur une page de l’histoire de la société italienne et de rendre ainsi compréhensibles les dynamiques fondamentales de la subversion politique qui donna vie au « terrorisme rouge » des années 70 à 80.

Ces témoignages seront des témoignages de femmes parce que dans les analyses de plus en plus nombreuses abordant la violence politique de cette période, il n’existe aucun document filmé qui questionne des femmes. C’est comme s’il n’y avait aucun intérêt pour la différence de comportement, d’attente, d’imaginaire qu’elles ont exprimées, aucune curiosité pour les éléments de violence, de transgression, de politisation qu’elles ont apportés. De fait, leur présence, leur mémoire est déformée, exorcisée, oubliée : la guerre, l’aventure, l’exil, les armes, les stratégies ne seraient ainsi toujours que des affaires d'hommes.

Je veux toutefois souligner qu’il ne s’agit nullement de séparer le « féminisme » du « non-féminisme » de cette lutte armée. Ce serait insensé et impossible ; d’ailleurs les militantes refuseraient certainement cette catégorisation. Il s’agira de relever une spécificité d’expérience qui pourra permettre une interprétation nouvelle du « terrorisme au féminin ».

Ces témoignages iront de la jeunesse aux années de prison, de la passion politique à la vie de combattante, ils aborderont leurs conflits intimes, les contradictions de leur action, les déchirures qui ont composé leur existence de femmes prises dans le tourbillon de la guerre. Un parcours qui débouche sur la condamnation de la lutte armée et sur la douleur due à la destruction de vies : celle des victimes et la leur.

Elles nous feront peut-être comprendre pourquoi, comment et à quel prix les larmes d’une femme devinrent autant de balles.

ARTICLE
17.11.2021
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In Passage, Sabzian invites film critics, authors, filmmakers and spectators to send a text or fragment on cinema that left a lasting impression.
Pour Passage, Sabzian demande à des critiques de cinéma, auteurs, cinéastes et spectateurs un texte ou un fragment qui les a marqués.
In Passage vraagt Sabzian filmcritici, auteurs, filmmakers en toeschouwers naar een tekst of een fragment dat ooit een blijvende indruk op hen achterliet.
The Prisma section is a series of short reflections on cinema. A Prisma always has the same length – exactly 2000 characters – and is accompanied by one image. It is a short-distance exercise, a miniature text in which one detail or element is refracted into the spectrum of a larger idea or observation.
La rubrique Prisma est une série de courtes réflexions sur le cinéma. Tous les Prisma ont la même longueur – exactement 2000 caractères – et sont accompagnés d'une seule image. Exercices à courte distance, les Prisma consistent en un texte miniature dans lequel un détail ou élément se détache du spectre d'une penséée ou observation plus large.
De Prisma-rubriek is een reeks korte reflecties over cinema. Een Prisma heeft altijd dezelfde lengte – precies 2000 tekens – en wordt begeleid door één beeld. Een Prisma is een oefening op de korte afstand, een miniatuurtekst waarin één detail of element in het spectrum van een grotere gedachte of observatie breekt.
Jacques Tati once said, “I want the film to start the moment you leave the cinema.” A film fixes itself in your movements and your way of looking at things. After a Chaplin film, you catch yourself doing clumsy jumps, after a Rohmer it’s always summer, and the ghost of Akerman undeniably haunts the kitchen. In this feature, a Sabzian editor takes a film outside and discovers cross-connections between cinema and life.
Jacques Tati once said, “I want the film to start the moment you leave the cinema.” A film fixes itself in your movements and your way of looking at things. After a Chaplin film, you catch yourself doing clumsy jumps, after a Rohmer it’s always summer, and the ghost of Akerman undeniably haunts the kitchen. In this feature, a Sabzian editor takes a film outside and discovers cross-connections between cinema and life.
Jacques Tati zei ooit: “Ik wil dat de film begint op het moment dat je de cinemazaal verlaat.” Een film zet zich vast in je bewegingen en je manier van kijken. Na een film van Chaplin betrap je jezelf op klungelige sprongen, na een Rohmer is het altijd zomer en de geest van Chantal Akerman waart onomstotelijk rond in de keuken. In deze rubriek neemt een Sabzian-redactielid een film mee naar buiten en ontwaart kruisverbindingen tussen cinema en leven.