Le lion, sa cage et ses ailes

Le lion, sa cage et ses ailes

Commissioned by the Centre d’animation culturelle of Montbéliard, Armand Gatti observed the town of the Peugeot factories where France’s second largest workforce was concentrated and almost 10,000 immigrants of different origins. The experience of exile, the languages, work and a strong desire to belong draw the red threads of the eight episodes. Each culture appears in all its singularities and its diversity. Emigration becomes something personal: Gatti lets the individuals speak about their everyday life, about the factory, about the streets and their home.

 

« Imaginez un film conçu pour être celui des ouvriers immigrés. Pas un film sur, ni seulement pour, un film bien sûr avec, mais plus profondément selon les ouvriers. Imaginez un film dont la perspective ne consiste pas à assigner des identités et confirmer des découpages sociaux, mais à affirmer des singularités: opinions, croyances, sentiments, présences à soi-même et aux autres. Imaginez un film qui reconfigure entièrement les réflexes identitaires usuels en matière de fabrique, d'organisation, de description de soi, de compte-rendu du travail et de la classe ouvrière. Ce film s'intitule Le Lion, sa cage et ses ailes, c'est une expérience lancée en 1975 par le poète, dramaturge et cinéaste Armand Gatti, conduite par Hélène Chatelain et Stéphane Gatti, et dont résulte une série d'autoportraits collectifs par les communautés des travailleurs émigrés de Montbéliard, bastion industriel de Peugeot. »

Nicole Brenez1

 

« Le Lion, sa cage et ses ailes n’est pas seulement une forme d’animation exemplaire, c’est une écriture nouvelle, une façon, comme chez Godard, de parler sur et sous la communication, sur et sous les contradictions, sur et sous la culture. C’est le résultat d’une démarche aussi, de la lutte que mène Gatti depuis des années pour permettre à la classe ouvrière de s’exprimer. De Janvier à août 1975, Gatti a donné la parole aux immigrés, et Ils l’ont prise. Jamais peut-être, on ne les a vus parler comme ça d’eux-mêmes, et dire, dans une folie créatrice, qui ils étaient enfin. »

Catherine Humblot2

 

« Ceux qui sont censés être sujets de ces films – des travailleurs immigrés de la région de Montbéliard – prennent leur propre représentation en main. Plutôt que de les faire parler, Gatti, issu lui-même d’un milieu similaire au leur, prend le parti de les faire faire. Chaque film contient donc le récit de sa propre genèse, réflexivité renforcée par le fait que ces « films se faisant » sont ensuite remodelés par le montage – d’une infinie richesse – et les commentaires de Gatti pour s’inscrire dans la cohérence du projet. »

Olivia Cooper Hadjian3

 

« Le Lion se différencie d’une approche documentaire type cinéma direct en intégrant de nombreux éléments de fiction tout au long des films : les ouvriers s’expriment à travers différentes formes d’art, allant de la musique à la sculpture, avec notamment les affiches que chaque communauté réalise en fonction de son scénario. Gatti ne s’intéresse pas tant au quotidien des ouvriers qu’à leur imaginaire et à leur façon d’appréhender leur situation et notamment leur situation d'exilés, ce qui explique l’intérêt porté aux mythes et au rapport des individus à leur culture d’origine : Au départ de chaque scénario, il y a non pas la réalité - même si c’est de la vie quotidienne qu’il traite, même si tous ses personnages sont bien vivants - mais déjà des images. Des histoires, des récits, des on-dit, des interdits, des représentations, des mythes. Le lion navigue à mille lieues du naturalisme. On ne sort pas de la fiction. La réalité c’est déjà des images. L’homme aux prises avec la réalité est un homme aux prises avec des mythes contradictoires. »

Jean-Paul Fargier4

 

« Les films se refusent à ce que leur principe d’organisation devienne un carcan : le découpage des groupes par communautés est tempéré par des incursions récurrentes dans chaque film de questions et personnages émanant d’une autre. Et réciproquement, l’unité de chaque groupe est régulièrement remise en question, que ce soit d’un point de vue culturel – les Italiens du nord se sentent différents de ceux du sud – ou d’un point de vue humain, par l’intégration au récit des désaccords sur le film à faire dans les films marocain et espagnol. On est ici face à l’expérimentation dans ce qu’elle a de plus vivifiant : plaisir de créer, de jouer, de trouver le sens par des chemins détournés. »

Olivia Cooper Hadjian5

 

« Ce sont eux, immigrés chez Peugeot ou manoeuvres dans le bâtiment, qui ont tiré, véhiculé, écrit, pensé, joué et même dansé le film, précise la voix d'Hélène Chatelain au début de “Montbéliard”. Pour rendre compte de la diversité des conditions ouvrières, toutes soumises aux même cadences, à la même administration et à la même exploitation, pourtant toutes irréductibles, il fallait cette série organique de films qui, précisément, échappe à l'ordre capitaliste et n'obéit à rien: ni format, ni bonnes moeurs audiovisuelles, ni facilités politiques. Privilège est ici donné aux réflexions, aux inventions, aux désirs, aux nostalgies, aux révoltes de ces consciences qui refusent leur réduction à l'état de force de travail aliénée. En termes indissolublement de fabrication et de style, Le Lion, sa cage et ses ailes constitue une initiative majeure quant aux rapports du singulier et du collectif, de la poésie et de la politique, d'une situation historique et des fonctions de l'image. »

Nicole Brenez6

 

« Le premier jour où nous nous sommes rencontrés pour commencer à filmer, Boby Sands mourrait des suites de sa grève de la faim. Pendant cinq mois le travail s’est poursuivi et le jour où le dixième gréviste mourrait, le travail était fini. Pendant ces cinq mois, les jeunes écrivirent le scénario, créèrent leur propre journal, travaillèrent comme des artistes graphiques, des dessinateurs de bande dessinée, des historiens et comme des acteurs. C’était un film à propos d’eux-mêmes, dit par eux-mêmes, fait par eux-mêmes. »

Paddy Doherty7

 

« Puisque Montbéliard est une ville polonaise, une ville yougoslave, une ville turque, une ville italienne, une ville maghrébine, une ville espagnole... Il propose à chaque communauté d’exprimer sa propre vision de Montbéliard, d'écrire son scénario : il est là, lui, Gatti, seulement pour aider à “traduire” en images. »

Catherine Humblot8

 

« Gatti est resté assis sans bouger pendant des jours écoutant à peu près 150 personnes oppressées par ce même Empire, explorer la réalité de leur existence. 150 personnes et 150 réalités différentes. [...] Gatti a promis de garder en mémoire et de capturer sur un film les efforts pour élever la conscience, alors que la guerre continuait dans la rue.»

Paddy Doherty9

 

« La question du racisme est bien sûr présente dans certains films, mais c’est un sujet qui, comme celui de l’aliénation par le travail, n’est jamais prétexte à victimisation, mais avant tout à la manifestation de la puissance d’agir et de penser de ces travailleurs, qui ne manquent pas de remettre en question le politiquement correct (l’Italien Gian Luca n’hésite pas à affirmer qu’il n’y a pas pire raciste que l’émigré) ou de soulever les limites de la représentation filmique. C’est bien là la plus belle manière de faire du cinéma militant : non pas débiter des affirmations, mais faire émerger des contradictions et solliciter l’imagination. »

Olivia Cooper Hadjian10

 

« Les pièces de Gatti, qu’il les destine en priorité au théâtre, au cinéma ou à la télévision, se déploient toujours comme si celui qui en tire les ficelles était assis devant une régie de télévision, face à de nombreux moniteurs de contrôle, lui offrant de choisir entre plusieurs propositions de spectacles ; et que, face à cet éventail de choix, le choix le plus fréquent soit de ne pas choisir, de feindre plutôt de ne pas choisir, de donner tout en bloc, presque tout à la fois. Et si l’on se résout à suivre, une fois, une piste, on prend bien garde de rappeler constamment qu’il en existe d’autres, là, tout près. »

Jean-Paul Fargier11

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UPDATED ON 14.09.2020