L’accueil de Farrebique
Reflets d’une polémique
Le film à peine terminé, commence « l’affaire Farrebique » : le jury de sélection du 1er Festival de Cannes, par sept voix contre deux (celles de Georges Charensol et Jeander) l’élimine de la compétition.
« Que Farrebique n’aille pas à Cannes est proprement scandaleux », déclare Maurice Bessy (Cinémonde, 10 septembre 1946). Pour Pierre Laroche, « que ce film n’ait pas été sélectionné pour le festival est incompréhensible. » (Patriote de Nice, 2 octobre 1946) Robert Chazal parle d’un « refus scandaleux » et d’une « erreur flagrante » (Cinémonde, 2 octobre 1946). « Alerte au cinéma français qui néglige un film de la qualité́ de Farrebique, une histoire de bêtes, à la Jules Renard, pour des bêtes films de bipèdes à la Gide.1 » (Le Rire, 1er novembre 1946) « Quelques réserves que l’on puisse faire sur la conception très arbitraire du sujet, écrit Georges Sadoul, Farrebique avait une place marquée au Festival, alors qu’on eût pu refuser même un strapontin à la logorrhée particulièrement incontinente que constituait Un revenant.
Mais c’est précisément le dialoguiste de ce film, Henri Jeanson, membre de la commission, qui a batailléé pour le refus de Farrebique, bien qu’il s’en défende : « Farrebique n’a pas été proposé à nos suffrages. Je suis, il est vrai, de ceux qui trouvent ce film ennuyeux. Je ne tiens pas la bouse de vache pour une matière photogénique. J’ai peut-être tort, j’en conviens, mais je proteste contre ceux qui prétendent en toute mauvaise foi que Farrebique a été recalé. » (Spectateur, 15 octobre1946)
A quoi le co-producteur du film, Paul Leclercq, réplique dans les colonnes du même journal (5 novembre 1946) : « Le film Farrebique a été présenté́ à la commission d’admission des films le 12 août, dans la salle de la rue de Lubeck, de la direction générale de la cinématographie, en une séance à laquelle M. Jeanson assistait. Par la suite il nous a été notifié que le film Farrebique n’était pas admis au Festival. »
Farrebique est présenté́ à Cannes hors festival. Max Favalelli prophétise : « L’on a refusé à Farrebique les honneurs d’une sélection officielle. Il n’est point impossible cependant que Farrebique ne connaisse à Cannes un succès officieux. Ce serait la première étape d’une revanche qui ne manquera pas d’être totale, un jour prochain. » (Paris Presse, 19 septembre 1946)
De fait, la présentation de Farrebique à Cannes est un succès. Pour André Bazin : « Cette fois, la cause est entendue. L’absence de Farrebique au Festival de Cannes est bien un scandale. Qu’on ait préféré une bande de qualité aussi douteuse que le Revenant, les mots d’auteur de M. Jeanson au dialogue des paysans de Georges Rouquier est une erreur inexplicable et inexpiable, dont le festival porte le poids comme un remords. » (Le Parisien libéré, 2 octobre 1946)
Mais l’issue du Festival marque la première consécration du film : un prix est créé spécialement pour le distinguer, le prix de la critique internationale. Dès lors, la profession cinématographique et les journalistes spécialisés se divisent en deux camps : « On ne donne plus un avis sur Farrebique. On prend un parti. » (Carrefour, 27février1947) « Farrebique n’est plus un film, écrit France Roche. C’est un mot-cheval de bataille, comme ‘Hernani’, ‘Waterloo’ ou ‘Dreyfus’. La bataille de Farrebique a encore lieu. On est ‘pour’ ou on est ‘contre’ Farrebique. Avec passion et persévérance. »
En effet :
« Farrebique n’est pas seulement un grand film, ni même un chef d’œuvre, car le terme a été souvent galvaudé. C’est quelque chose qui bouleverse toutes les conceptions du cinéma les plus solidement établies. » (Claude Hervin, Paris Presse, 3 octobre 1946)
« Avec cette gravité qui fait les grands comiques, des critiques décrétèrent que le cinéma pur, c’est ça : de la crotte de Farrebique ! » (Henri Jeanson, Jeudi cinéma, 10 octobre 1946)
« Cette œuvre d’artisan génial ouvre une nouvelle voie au cinéma. » (Résistance, 13 octobre 1946)
« ... pénible et ennuyeux et humiliant Farrebique. » (Le Canard enchaîné, 16 avril 1947)
« Farrebique est indiscutablement une date dans l’histoire du cinéma. » (Roger Toussenot, Le Libertaire, 17 avril 1947)
« Du Sjoström sans personnalité, voilà ce qu’on veut nous faire prendre pour le fin du fin du cinéma français. » (Huguette ex-Micro,2 Le Canard enchaîné, 19 mars 1947)
« Voilà de très loin la plus belle œuvre cinématographique qui ait été offerte à notre admiration depuis les derniers films français de Jean Renoir » (Pol Gaillard, L’Humanité, 5 février 1947).
« Je persiste – contre l’avis presque unanime – à trouver que c’est une œuvre contestable, mais ce n’est en tout cas pas une œuvre indifférente. » (Denis Marion, Paris Cinéma, 15 octobre 1958)
Il y a ceux qui crient au chef d’œuvre : René́ Barjavel, Jean Rougeul, Claude Vermorel, Michel de Saint Pierre, ceux qui considèrent que « ce film est certainement le document le plus complet et le plus intelligent que l’on ait tiré de la paysannerie française » (Marcel Lasseaux, Plaisir de France, mars 1947) ; et d’autres plus réservés, qui estiment que c’est une « réussite compromise, parce que ses auteurs ont peut-être hésité à prendre parti au bon moment » (Jacques Dorlet, Temps Présent, 21 mars 1947), une réussite paradoxale puisque Jean-Pierre Vivet assure qu’« il est peu fréquent de reprocher à un réalisateur un travail trop parfait. Telle est pourtant bien l’erreur de Rouquier. En immobilisant ces instantanés dans un montage trop minutieux, Rouquier leur a retiré la vie. On ne sent jamais passer dans Farrebique ce souffle irrésistible qui fait d’un film comme La ligne générale, malgré toutes ses faiblesses, un chef d’œuvre.
Et cela est bien dommage, car cette absence d’abandon, cette maîtrise de chaque instant de l’œuvre, par son réalisateur, fait en fin de compte de Farrebique une sorte d’exercice scolaire. » (Combat, 22 mars 1947)
Ainsi, du triomphe « clandestin de Cannes » à la sortie parisienne de février 1947, se poursuit cette « nouvelle bataille d’Hernani » annoncée par Jean Painlevé dès septembre 1946 (dans Les Etoiles), attisée par l’obtention du Grand Prix du Cinéma français, le 17 décembre 1946, une occasion supplémentaire pour Le Canard enchaîné de persifler : « Le jury du Grand Prix du Cinéma est toujours égal à lui-même... Après Légions d’Honneur, Farrebique, un film qui pourrait s’appeler ‘mérite agricole’. Du navet au poireau ... » (1er janvier 1947)
La bataille se déroule sur tous les fronts : celui du réalisme et de l’authenticité, de la mise en scène, des techniques utilisées, du rythme, de l’esprit, du sens... D’abord, on ne sait comment ‘classer’ le film.
Documentaire ou fiction ?
« Avec Rouquier, nous entrons dans la zone extrême où le documentaire est poussé si loin qu’il cesse d’être un documentaire. » (Jean Rougeul, Spectateur, 24 septembre 1946)
« On nous dira que Farrebique est un documentaire et que, comme tel, il échappe aux lois du film romancé. C’est bien là qu’est la faille. Car, s’il en est ainsi, c’est un mauvais documentaire. » (Jacques Dorlet, Temps présent, 21 mars 1947)
« Farrebique est une sorte de documentaire aussi passionnant qu’un roman policier. » (Nord-Eclair, 28 février 1947)
« Ce n’est même pas un documentaire qu’un film qui ne nous apprend exactement rien. » (Jean Fayard, Opéra, 19 février 1947)
« Il n’est pas une œuvre plus composée que Farrebique – ni mieux composée. L’apport du metteur en scène n’entache nullement ici la vérité des images ; il la sert au contraire, la renforce, lui donne une acuité extraordinaire. Qu’on ne nous dise donc pas que Rouquier a fait un documentaire ! Il a fait en réalité une œuvre d’art admirable sur une trame documentaire. » (Roger Régent, Tout Paris, 12 février 1947)
« Un admirable documentaire sociologique », pour Jean Quéval (Fraternité, 10 octobre 1946) qui ajoute (Entente, mars 1948) : « Farrebique n’est pas un album, c’est une symphonie ». « Musicalement et cinématographiquement, une symphonie pastorale ; pas celle de Delannoy, mais plutôt, révérence parler, de la famille de Beethoven. » (Georges Altman, Franc-tireur, 2 octobre 1946) « La vraie symphonie pastorale », titre Georges Magnane (L’Écran Français, 18 février 1947) qui poursuit : « la solide valeur, la bouleversante originalité de ce film tient à la présentation entièrement authentique, et neuve, du paysan. » Mais, trois colonnes plus loin, Jean Vidal s’interroge : « Est-ce une églogue ? Une pastorale ? Et convient-il d’évoquer Virgile devant le film de Georges Rouquier ? » O’Brady répond (Cinémonde, 4 février 1947) : « Farrebique est un documentaire-symphonie pastorale-drame rural et réaliste Ligne générale avec un soupçon de Sacre du printemps. C’est un poème sur pellicule d’une beauté puissante et tendre à la fois. » Jugement qu’infirme Jean José Marchand (Climats, 20 mars 1947) : « Sous l’angle documentaire, Farrebique est un véritable chef d’œuvre ; plus tard, on le montrera comme un document d’une vérité absolue sur la vie des paysans français des régions pauvres. Mais quant au tempérament créateur de Georges Rouquier, nous sommes obligés de constater sa carence. Il y a entre La ligne générale et Farrebique, toute la distance de l’auteur au commentateur. »
« On a dit de la peinture qu’elle était ‘la nature vue à travers un tempérament’ », rappelle J. Falga, en précisant : « On pourrait en dire autant du film de Rouquier. » (Cahiers de notre jeunesse, avril 1947)
Selon Georges Sadoul, « L’importance de l’œuvre de Rouquier n’est pas qu’elle vienne rénover le documentaire, mais qu’elle le dépasse et qu’elle rejoigne ce courant de la nouvelle avant-garde européenne qui s’est récemment manifestée dans La dernière chance de Lindtberg, dans La bataille du rail de Clément et dans Païsa de Rosselini. » (Les Lettres Françaises, 21 mars 1947)
Et c’est justement René Clément, réalisateur de la Bataille du rail, qui vient prendre part au débat (interrogé par Jean Queval dans L’Écran Français, 16 octobre 1946) : « Le cinéma doit apporter une réponse à l’inquiétude sociale du spectateur et le spectateur doit y trouver l’espoir : non pas, bien entendu, l’optimisme de l’autruche, mais l’espoir dans la lucidité... C’est une conception qui, je crois, peut s’exprimer par le réalisme esthétique et social, sans négliger l’apport du documentaire. A cet égard, un film comme Farrebique est important. »
Le second volet du débat, évidemment, tourne autour du thème de la vérité « saisie » ou « recomposée », bref, de l’authenticité ou de la « tricherie ».
Henri Jeanson attaque : « M. Rouquier triche honnêtement, mais il triche tout de même. » (Jeudi cinéma, 10 octobre 1946)
Jean Rougeul riposte : « C’est seulement l’authenticité flagrante de ce que nous voyons qui compte. C’est l’impression étrange de se retrouver soi-même tout vivant dans une image, dans un reflet projeté sur l’écran, qui touche la sensibilité du spectateur. » (Spectateur, 22 octobre 1946)
« Le cinéma à l’état pur, la vie surprise par l’écran », s’exclame Georges Altman (Franc-Tireur, 2 octobre 1946) auquel le critique suisse Jean-Pierre Moulin fait écho : « Ce film sans fard où tout a été saisi sur le vif, dans son cadre, au moment qu’il fallait, est un exemple de patience et un chef d’œuvre, à la fois de vérité et de merveilleux. Il touche à la grandeur la plus bouleversante parce qu’il est tout proche des choses de la vie. » (La Gazette de Lausanne, 17 octobre 1946)
« Comment n’a-t-on pas senti plus tôt que la caméra n’admet pas la tricherie ? » demande Simone Dubreuilh en défendant « le recalé du festival » : « Après avoir vu Farrebique de Georges Rouquier, Goupi mains rouges qui n’était pas mal dans son genre, paraît une mascarade. Ici, c’est la vie filmée comme une actualité, mais une actualité voulue, choisie, animée par la pensée. Là, c’est du théâtre. » (Paris Cinéma, 24 septembre 1946) Jean Oberlé renchérit : « Un film étonnant, captivant, qui nous amène loin des fadaises du théâtre filmé et de l’esprit facile des dialoguistes, pour quelque chose de solide qui est l’essence même de la France et qui rejoint dans son patrimoine artistique les paysans que peignait Le Nain ou ceux que décrivit Restif de la Bretonne. » (Vogue, janvier/février 1947)
Jean Queval est formel : « Le document est irrécusable, jusque dans le patois. » (Entente, mars 1948)
Pour Roger Régent, « Rouquier a su rester dans la vérité la plus juste et, en même temps, échapper à la sècheresse documentaire. » (Tout Paris, 12 février 1947)
Mais Jeanson revient à la charge : « On ne va pas au cinéma pour voir une lavandière battre génialement du linge vrai dans un vrai ruisseau. (...) Les admirateurs de Farrebique en louent l’authenticité. Rien de plus truqué que cette authenticité, de plus artificiel que cette vérité... Je m’explique. Pour tourner son documentaire, M.Rouquier avait une équipe technique, c’est-à-dire des électriciens, des ingénieurs du son, des operateurs... Il n’a pas manœuvré en operateur d’actualités. Il n’a pas pris la vérité en flagrant délit de franchise. Il s’est conduit en metteur en scène. ».
Derrière cette querelle apparaît le principal grief fait au film : l’ennui.
« Farrebique est un documentaire interminable sur la vie d’une ferme. Une tranche de vie. Une tranche terriblement indigeste. Et qui n’en finissait pas. Ce n’était plus du cinéma, c’était de la lanterne magique. » (Paris Matin, 10 octobre 1946)
« Un film qui a été fait simplement, avec l’amour d’un artisan fignolant un objet, et qui est passionnant et que l’on voudrait voir durer plus longtemps encore, tel est Farrebique. » (Jean Oberlé, Vogue, janvier/février 1947)
« Le film est extrêmement ennuyeux... Ce n’est pas à Farrebique que j’irai passer mes vacances. » (Le Canard enchaîné, 25 septembre 1946)
« Je ne me suis pas ennuyé une seconde devant ce film sans action, qui progresse lourdement avec l’inlassable dureté paysanne et la certitude du laboureur. » (Pierre Laroche, Le Patriote de Nice, 2 octobre 1946)
« Farrebique n’est pas un documentaire scientifique ni un reportage sur nos belles provinces. Il prétend nous raconter la vie d’une famille de paysans, et il le fait d’une façon si lente et si ennuyeuse qu’il est impossible d’y prendre intérêt. » (Regards, 8 novembre 1946)
« Les gens heureux n’ont pas d’histoire, affirme-t-on. C’est sans doute pour cela qu’on ne peut raconter Farrebique. Mais l’erreur serait grande de craindre une bande monotone et ennuyeuse » (S. Dalens, La Vie catholique, 22 décembre 1946). C’est pourtant l’avis du critique anonyme de Carrefour (27 février1947), de Jacques Dorlet (Temps présent, 21 mars1947), et de Jacqueline Lenoir : « A force de dépouillement, le film devient squelettique, on s’ennuie à l’intérieur de cette ferme comme Jonas dans le ventre de la baleine. » (Gavroche, 13 février 1947)
« Farrebique émeut et fait bailler », estime Carrefour. Marcel Carné proteste : « Ce qui émeut profondément dans le film de Rouquier, en même temps que cet amour de la nature d’une force lyrique extraordinaire, c’est sa pureté. » (La Rue, 4 octobre 1946) Pureté que Jacques Prévert, à l’issue d’une projection, rapprochait de celle « d’un Proust regardant les gens du monde » (rapporté par Minnie Danzas, Le Soir, 3 septembre 1946). France Roche est plus réservée : « Dépourvu de lyrisme, Rouquier s’intéresse aux bébés pêle-mêle avec les canards, les moissons et les roses. La mort, pour lui, ce n’est pas un fantôme bavard, c’est un cœur qui ne bat plus. » (Cinévie, 18 février 1947)
Jean George Auriol voit précisément dans cette démarche « objective » l’expression du lyrisme de l’auteur : « Suivant le tempérament naturel de l’artiste-artisan français médiéval ou moderne, la tendance de Rouquier est intimiste. Quelques réflexions murmurées, en patois ou non, une pensée lisible sur un visage ouvert, une oreille tendue vers quelque indice espéré ou redouté, sont parmi les notations d’une mélodie dont le lyrisme est plus souvent celui, contenu, du chat qui ronronne dans la cendre chaude que celui du coq et du paon qui s’égosillent » (L’Écran français, 2 octobre 1946).
Cette discrétion, admirée par les uns, taxée par d’autres de ‘sécheresse’, se trouve alors mesurée à l’aune de la poésie.
« Tous ceux qui ont vu Farrebique ont été saisis par la poésie intense qui se dégage d’une œuvre dont la plus authentique vertu est celle de la vérité », affirme Max Favalelli (Paris Presse, 19 septembre 1946).
De fait, beaucoup de cinéastes et de critiques y ont été sensibles.
Jean Painlevé : « Une grande partie de la poésie qui jaillit de ce film tient à ce qui n’est pas dit, à ces visages dont la vie intérieure se laisse à peine deviner. Il fallait pour réaliser ce tour de force un metteur en scène imprégné de la vie des fermes et des champs. » (Les Etoiles, 24 septembre 1946)
Jean-Pierre Moulin : « Avec pour seuls acteurs les habitants d’une ferme, les plantes, les fleurs des prés, les bêtes domestiques et sauvages, il a réalisé le plus étonnant poème que le cinéma nous ait jamais donné. » (La Gazette de Lausanne, 17 octobre 1946)
Jean George Auriol : « Il fallait un poète pour nous émouvoir avec la boue des chemins, l’appel à la soupe, le soupir de l’accouchée, l’éveil des animaux nocturnes du crépuscule, la table de multiplication, les sages astuces d’un aïeul, l’éclat d’un soc au soleil, l’éclatement d’un bourgeon, etc. mais il fallait aussi un poète pour évoquer la liberté absolue de l’enfant maître d’un ruisseau où il installe des petits moulins, le pouvoir féerique de l’enfant utilisant le chien qui sait commander aux vaches, le bonheur entier de l’enfant en conférence muette avec le bœuf qui rumine. » (La Revue du cinéma, janvier 1947)
Marcel Huret : « Tous les films paysans que nous connaissons, même les meilleurs (je pense à Regain et à Goupi mains rouges) ne peuvent être comparés à ce film unique qui constitue sans doute l’un des plus beaux poèmes à la gloire de la terre, qui ait été pensé depuis Virgile. » (L’Écho de Normandie, 27 mars 1947)
A l’opposé, Jean Vidal avoue n’être « pas sensible à la poésie de Farrebique » et pense qu’« il eut fallu pour venir à bout d’un poème cinématographique de ce genre un souffle qui a manqué à Rouquier et surtout une unité de style et d’inspiration. » (L’Écran Français, 18 février 1947)
« Ce n’est pas un poète, ajoute Jacqueline Lenoir, mais un bon artisan du cinéma. Il sait voir sans imagination, assimiler sans prolongement. » (Gavroche, 13 février 1947)
Et Jean Fayard, péremptoire : « Ici, tout est pauvre, étriqué, vide d’imagination, privé de poésie, étiré à plaisir. » (Opéra, 19 février 1947)
« N’abusons pas des ‘Bucoliques’ filmées, écrit le critique anonyme de La Gazette Provençale (31 mars 1947). Nous savons trop que derrière cette poésie de Rousseau se cache ce que Zola, Maupassant, Mirbeau ont supérieurement dépeint. C’était cela que le film eut dû nous restituer et non cette vision conventionnelle d’une paysannerie conforme aux meilleures traditions de l’imagerie d’Épinal. »
Références et comparaisons pleuvent alors sur Farrebique :
« Nous sommes loin ici des graveleuses paysanneries réalistes à la Zola, des romanesques paysanneries à la George Sand » (Edmond Sée, Normandie, 5 avril 1947) ; « Rien de l’idylle champêtre ou du drame paysan. Farrebique est plus près de Virgile que de George Sand ou d’Henry Bordeaux » (André Lang, France-Soir, 8 février 1947) ; « Qu’on ne s’attende pas à trouver chez Rouquier ces accents fades et ces trémulations de romance que la pire littérature régionaliste a introduits dans le genre. Pas davantage le goût d’une églogue à la Virgile. Mais cependant, aucune des exagérations du ‘réalisme’ à la Zola, qui sont aussi fausses que les aquarelles de M. René Bazin ou que les chromos de M. Henry Bordeaux. » (Pierre Scize, Le Fait du Jour, 28 janvier 1947)
Jean Cocteau déclare : « Le cinéma en arrive à la période où était le théâtre en France sous Antoine : le retour à la vie naturelle. Les films récents les plus remarquables, Païsa, Farrebique, le prouvent. » (rapporté dans L’Époque, 23 mars 1947) ... Affirmation approuvée par Le Grelot (18 mars 1947) : « C’est un film qu’eut aimé Antoine, qui tourna La Terre et montra par moment le même souci que Georges Rouquier de filmer les menus détails de la vie à la campagne. » ...Affirmation dont Henry Jeanson prend le contre-pied : « C’est prendre le public pour un cheptel que de lui offrir ces mornes images qui eussent fait bailler Zola, fuir Monet, soupirer Renoir et dire à Antoine un de ces ‘nom de Dieu, foutons le camp, allons boire un demi !’ qui nous le rendaient si sympathique. »
« D’aucuns parleront de Virgile ou de Giono, écrit Maurice Bessy. Ils s’apercevront un prochain jour qu’il sera plus facile de parler tout simplement de Rouquier. » (Cinémonde, 10 octobre 1946)
Mais pour l’instant, Rouquier a encore besoin d’un solide parrainage :
« Français par nature, Rouquier est seulement comparable à des maîtres de races différentes qu’il doit d’ailleurs admirer : Flaherty, Ivens, Dovjenko. » (J. G. Auriol, La Revue du cinéma, janvier 1947)
«L’enterrement du grand-père supporte la comparaison avec les meilleurs morceaux de cinéma, il évoque l’inoubliable épopée paysanne de Dovjenko, La Terre. » (G. Sadoul, Les Lettres françaises, 21 mars 1947)
« Ce qui confère à cette œuvre pétrie de la matière la plus banale qui soit, une rare magnificence, c’est que le réalisateur a su lui communiquer le mouvement et le ton d’un poème dont le lyrisme n’est pas sans évoquer celui du film soviétique La Terre de Dovjenko. » (Raymond Barkan, Le Patriote de l’Oise, 26 février 1947)
« Ce lyrisme donne à Farrebique un sens et une valeur non seulement fort émouvants mais encore des plus rares car on n’en trouve que bien peu d’exemples dans l’immense répertoire cinématographique à moins de remonter à la grande ‘École Suédoise’ ou à ces Village du péché et à ces Turksib qui ont marqué les débuts du cinéma soviétique. » (René Jeanne, La France au combat, 13 février 1947)
Les références fonctionnent également dans le sens de la critique : « Seuls Robert Flaherty dans Man of Aran et Eisenstein dans La ligne générale ont été capables de triompher des pièges que pose ce genre ingrat et dangereux de sujets » (Denis Marion, France-Illustration, 22 février 1947) ; « Farrebique ne peut que décevoir ceux qui espéraient trouver en lui l’équivalent français d’Okraina ou de La ligne générale car Farrebique n’est, avec quelques très beaux morceaux de cinéma, qu’un honorable, qu’un excellent documentaire. » (Claude Schnerb, La France au combat, 20 mars 1947)
Une référence qui fait sourire Jean Painlevé : « Je me rappelle trop l’accueil professionnel fait en 1925 à La ligne générale d’Eisenstein : quel intérêt ? Il y a longtemps que nous avons des tracteurs en France. » (Les Etoiles, 24 septembre 1946)
Les autres cinéastes dont on rapproche Rouquier sont Vigo et Renoir. Pour Marcel Carné : « Farrebique rend aujourd’hui le même son neuf que rendaient à leur apparition Zéro de conduite et L’Atalante. » (La Rue, 4octobre1946) Painlevé : « Nous sommes enfin devant l’œuvre qui doit donner le départ au nouveau cinéma et rejoint Jean Vigo dont Rouquier me paraît désormais le plus proche parent. » Et Pierre Kast ajoute : « C’est cette passion de la vérité, alliée à cette maîtrise du métier, qui fait de la querelle de Farrebique une grande bataille pour la liberté d’expression au cinéma, et de Rouquier le continuateur d’un Vigo. » (Action, 4 octobre 1946)
« Aucune trace d’Angélus de Millet. Rien qu’un sens bouleversant de la poésie de la terre, un sens presque païen du monde, qui évoque parfois le Jean Renoir de la Partie de campagne. » (J. Homolle, L’Enseignement, 15 juin 1947)
« Si j’évoque Renoir à son sujet, c’est qu’il y a, il me semble, une discrète parenté entre eux : c’est une sorte d’instinct que les pousse vers ce qu’il y a de plus émouvant dans la nature et c’est une manière toute simple d’amener ses authentiques secrets à l’air libre. Cela donne des films d’une allure innocente et chargés d’infinies résonances. C’est en ce sens que le film de Rouquier peut faire songer au magnifique Toni de Jean Renoir. » (Jean Rougeul, La Rue, 4 octobre 1946) Cette référence à Toni est d’autant plus intéressante que l’approche de Rouquier s’appuie sur certaines expériences tentées par Renoir précisément dans ce film-là, et principalement le refus du studio et le son direct. « J’ai été un des partisans les plus acharnés de Farrebique, cet authentique chef d’œuvre, cette tranche de vie quotidienne, déclare Carlo Rim. Pour se survivre, pour échapper à l’asphyxie qui le menace, le cinéma doit déserter ces hangars malsains que sont les studios. Il doit ouvrir toutes grandes ses fenêtres au soleil, à l’air pur, à la vie ; se gorger de lumière, de mouvement, de vérité... » (Films pour tous, 28 janvier 1947)
« Avec du petit, du médiocre, de l’étriqué, quel mérite d’avoir réussi ce grand machin, qui vous lave de tous les parfums fabriqués à Hollywood et autres lieux ! » (Le Rire, 1er février 1947)
« Un scénario fort peu construit », reproche Jacques Dorlet (Temps présent, 21 mars 1947). A quoi Painlevé réplique : « Un scénario si habile dans sa simplicité que des esprits superficiels y voient une absence de scénario. Des dialogues minimes qui ne sont là que pour suggérer. Pas de théâtre, pas de confusion des genres. » (Cinémonde, 24 septembre 1946)
« Il n’y a pas d’histoire ou presque. Pas de vedette, pas même d’acteurs. Mais Rouquier avait mieux à nous montrer. Il avait la vie, la réalité. Tout son art consiste à ne point la déformer. » (Le Parisien libéré, 21 mars 1947)
« Cette absence de romanesque ne fait pas, cependant, de Farrebique, une bande entièrement différente des autres. Les recherches de Georges Rouquier sont d’une audace d’autant plus saisissante que le jeune cinéaste a joué le jeu, et son film comporte, comme les autres films, un scénario, un dialogue et des acteurs. » (Georges Charensol, Les Nouvelles littéraires, 6 février 1947)
Et là, justement, repose un des principaux axes de la polémique, qu’amorce Guillot de Rode dans Le Courrier de l’Étudiant (19 mars 1947), les acteurs : « Un film dont le scénario a été soigneusement écrit, dont les scènes ont été répétées avec précision, par des acteurs improvisés, certes, mais acteurs tout de même : là, vous quittez, pour ce qui est de l’interprétation humaine, le documentaire pour retrouver le JEU, fût-il ou non d’un amateur, et cet amateur fût-il ou non paysan. »
« Farrebique n’est pas joué. Il est vécu », dit L. Ch. Debelle (Le Libre Poitou, 28 mars 1947). « Ce film ne comporte pas d’acteurs professionnels, mais de vrais paysans, pas des paysans inventés qui ont étudié devant la glace comment on prend des allures paysannes avec recherche de fards pour avoir le teint paysan. La mise en scène y est particulièrement délicate, car rien n’est plus difficile que de faire jouer des non professionnels en leur inculquant de ne pas ‘jouer’ mais de refaire simplement devant la caméra les actes normaux de leur vie quotidienne. » (Jean Painlevé, Les Etoiles, 24 septembre 1946)
Ce que conteste Pierre Chartier : « Lorsque les paysans doivent jouer leur propre personnage, ils sont gauches, ils sont empruntés, en un mot ils sont mauvais. » (France libre, 18 mars 1947)
Jean Rougeul proteste : « ... de vrais paysans que Georges Rouquier, malgré la difficulté, a su diriger. Là est la différence entre un vrai metteur en scène et un fabricant de films. » (Spectateur, 22 octobre 1946)
« Si quelques-uns des paysans campent merveilleusement leur personnage, on ne peut pas en dire autant de tous. Aussi nous demanderons-nous s’il n’eut pas été préférable de faire tenir les rôles par de bons artistes professionnels qui auraient peut-être mieux suggéré la réalité que de vrais indigènes, trop visiblement intimidés par l’œil de la caméra. » (Films pour tous, 4 mars 1947)
A quoi Jacques Dorlet, pourtant réservé sur le film, rétorque : « Jamais des acteurs professionnels n’auraient pu être à la hauteur de l’absence d’art qui marque la gaucherie de ces paysans qui le sont sans effort. » (Temps présent, 21 mars 1947).
« Cette famille vit, tout simplement : Georges Rouquier l’a regardé vivre, jour après jour, saison après saison. » (L’Homme nouveau, 15 mars 1947)
« Sous prétexte de réalisme, M. Rouquier exhibe une troupe paysanne dans de lamentables exercices de photogénisse... Tout le monde parle faux, dans des décors naturels soigneusement cadrés par M.Rouquier. L’angélus de Rouquier », persifle à nouveau Henri Jeanson, sous son pseudonyme de Huguette ex-Micro (Le Canard enchaîné, 19 mars 1947).
« Goupi mains rouges, qui est un très bon film français, n’arrive pas à égaler Farrebique. Là, des décors, des artistes déguisés en paysans ; ici, une vraie ferme, de vrais paysans. » (P. L. Pamelard, Forces françaises, 3 octobre 1946) Jacques Becker, réalisateur de Goupi mains rouges et fervent défenseur de Farrebique, émet cependant quelques réserves sur le jeu des « acteurs » : « Tous les hommes paraissent un peu gênés, seule la femme du film, la jeune mère, est parfaitement à son aise, on dirait qu’elle a dix ans de théâtre. ». (L’Écran français, 4 février 1947)
« Après La bataille du rail (film interprété par de vrais cheminots), la réussite de Farrebique apporte une éclatante confirmation à la thèse que nous avons souvent soutenue ici et selon laquelle il n’y aura pas d’art cinématographique tant qu’on aura recours aux ‘vedettes’. » Cet excès de Guy Breton (L’Époque, 5 février 1947) est tempéré par M. Guillon dans Lundi matin (10 février 1947) : « Les paysans de Goupi mains rouges étaient, certes, plus à leur aise devant la caméra. Ne parlons donc pas trop vite de supprimer les vedettes. »
Mais, pour Simone Dubreuilh, « d’ici dix ou vingt ans, la vedette de cinéma sera aussi anachronique que les chaises à porteurs ou le carrosse Louis XIV du Sultan du Maroc. » (Paris cinéma, 24 septembre 1946)
Un autre sujet de querelle, l’utilisation des trucages, prises de vues ralenties ou accélérées, à caractère « scientifique ».
Si, pour Georges Sadoul, « les trucages qui retrouvent ici la divine naïveté de Méliès contribuent à donner à Farrebique son lyrisme » (Poésie 47, mars 1947), « les prises de vue accélérées, montrant la germination et l’éclosion de feuilles et de fleurs, qui seraient à leur place dans un documentaire, ne le sont pas ici. » C’est du moins l’avis de Denis Marion (France Illustration, 22 février 1947), qui ajoute : « Quant aux autres vues microscopiques montrant la circulation de la sève, elles me paraissent une faute de goût manifeste. Rien n’est plus éloigné de la notion qu’un paysan peut se faire du printemps que ce point de vue abstrait et scientifique. »
Raymond Barkan (Le Patriote de l’Oise, 26 février 1947) est d’un avis contraire : « La prise de vues accélérée, jointe à l’éloquence du montage de Rouquier, donnent à la germination des graines, à l’ouverture des corolles, au déploiement des fougères la valeur de thèmes superbement poétiques. »
« Le seul reproche que mérite ce film est peut-être justement dans le fait que certains de ces procédés reviennent un peu trop souvent et que l’on peut en retirer une impression de longueur et de monotonie. » (J. J. Gautier, Le Figaro, 8 février 1947)
« Il a brisé et rebâti le rythme des choses pour l’amener à notre perception visuelle. Car il n’a pas utilisé le ralenti pour un effet de ralenti, mais seulement pour que nous puissions voir les choses invisibles : les mouvements de l’oiseau dans son vol, l’effort de la fleur qui éclot... Tout ce qui n’avait été alors qu’expérience de laboratoire devient, dans Farrebique, la manifestation intégrale de la vie. » (Pierre Leprohon, Camping plein air, novembre 1946)
« La force d’une tentative comme Farrebique, estime Georges Altman, c’est d’avoir braqué l’œil du cinéma sur la vie paysanne, comme fait sur son objet la lentille du microscope. » (L’Écran Français, 5 novembre 1946)
« Il a regardé ces paysans de l’Aveyron comme l’entomologiste Fabre regardait vivre ses insectes à Sérignan. Ce qui n’empêche pas Fabre d’être un de nos premiers écrivains et Rouquier, dans le choix des images et leur montage, de révéler pleinement sa forte personnalité. » (Georges Charensol, Juin, 17 septembre 1946)
« Georges Rouquier s’est penché sur son petit monde rustique avec l’impartiale curiosité de l’entomologiste, et sa caméra est devenue une loupe révélatrice. Ses héros ne sont ni beaux, ni bons, ni même mauvais. Ils existent comme des plantes ou des bêtes. Ils sont vrais. » (Pierre Laroche, Le Patriote de Nice, 2 octobre 1946)
« Observateur avec le raffinement d’un romancier et la patience d’un entomologiste, capteur d’instants plutôt que brosseur de tableaux à effets, armé à la fois contre l’emphase et le conventionnel, Rouquier possède un don rare : le don d’amour. » (Jean George Auriol, L’Écran français, 2 octobre 1946)
Les reproches concernent également l’exécution technique, photographie, montage et prise de son.
Denis Marion est catégorique : « La photographie est le plus souvent médiocre ; le son, toujours défectueux, et le montage maladroit. » (Combat, 2 octobre 1946) Jeanson parle « de médiocres photographies animées par des amateurs maladroits » (Jeudi cinéma, 10 octobre 1946), alors qu’André Bazin est admiratif : « Le cycle lent et massif des saisons, le rythme solennel du jour, les variations du temps, la vie interne du règne végétal et animal sont les acteurs prodigieusement photogéniques de son film. » (Le Parisien libéré, 2 octobre 1946) A quoi Jean Fayard reste insensible : « Belles images ? En toute impartialité, j’en ai compté cinq ou six. Et le reste est fumier. » (Opéra, 19 février 1947)
« La photographie est plate, sans densité, le montage maladroit. M. Rouquier me paraît avoir toute la sensibilité d’un manche de fourche » (anonyme, La Gazette des lettres, 5 avril 1947).
Denis Marion insiste : « Dans l’ensemble, le montage est très défectueux, bien qu’il ait pris neuf mois. » (France Illustration, 22 février 1947) Marcel Carné réagit : « On a dit que ce film était mal monté : c’est faux. Il est monté comme il devait être monté. » (Cinémonde, 24 septembre 1946) Jean George Auriol nuance cet avis : « Un montage aussi maladroit dans le troisième tiers qu’il est ingénieux, vif et fluide dans la première moitié » (L’Écran français, 2 octobre 1946), sans atténuer pour autant son éloge : « Les images de Farrebique signifient peu de choses par elles-mêmes en dehors du rôle qu’elle jouent comme des mots, des notes, des accords, des vers dans le montage général de l’œuvre. Ici le montage n’est plus seulement le résultat d’un triage des meilleurs plans, des merveilleux moments et d’un effort de composition rythmique : c’est une véritable conception du film au second degré. » (La Revue du cinéma, janvier 1947)
Les réserves touchent moins la conception sonore dont on remarque généralement l’originalité : « Farrebique n’est pas un film parlant comme il y en a tant ; c’est plutôt un film sonore où se mêlent tous les bruits de la vie, ceux de la ferme, de la terre et des hommes, tous fondus dans l’harmonie d’une grande musique. » (Julien Regnault, France libre, 2 février 1947)
« Les bruits ne sont pas fabriqués avec des enregistrements de disques et des bruiteurs patentés qui se tapent sur les cuisses pour imiter le galop du cheval. Ne dites pas que ces exactitudes sont inutiles. » (Jean Painlevé, Les Etoiles, 24 septembre 1946)
« L’accent de vérité doit aussi énormément aux sons enregistrés pendant le tournage » (Raymond Barkan, Le Patriote de l’Oise, 26 février 1947) ... dont l’utilisation n’est pourtant pas à l’abri des sarcasmes : « Sur le gros plan d’une artère qui cesse de battre se superpose, en son, le bruit d’un arbre qui tombe. Cette métaphore relève du plus plat cliché littéraire, du genre Almanach Vermot. » (Jean-Claude Vignes, La Revue Montalembert, mai-juin 1947)
André Bazin rectifie : « Si Rouquier, pour la première fois, a osé enregistrer directement les dialogues des paysans et les bruits authentiques de la nuit (alors que l’enregistrement sonore reste la terreur des documentaristes), c’est qu’il savait que la légère imperfection de cette technique, la gaucherie inévitable dont feraient preuve devant le micro ces acteurs improvisés étaient encore mille fois préférables à n’importe quelle postsynchronisation. Le résultat est là. » (Conquêtes, avril 1947)
Et Georges Sadoul estime que « la meilleure découverte technique de Farrebique, c’est l’emploi des sons, de bruits qui n’avaient jamais été entendus au cinéma. Sans doute est-ce la première fois que nous entendons au cinéma les mille bruits inaudibles qui font le silence des campagnes. » (Poésie 47, mars 1947)
« Farrebique, une œuvre qui – enfin – apporte quelque chose de neuf à l’art cinématographique », proclame Marcel Idzkowski (Opéra, 2 octobre 1946).
« Farrebique comme La bataille du rail est écrit en un style que beaucoup taxeront de révolutionnaire et que nous qualifierons beaucoup plus simplement d’humain et de véridique. Il est révolutionnaire d’autant que la vérité soit obligée de faire révolution pour accéder aux écrans. » (J. F. Narbé, France vivante, 19 février 1947).
Jeanson riposte : « Révolutionnaire, Farrebique ? En quoi ? Révolutionnaire en cartes postales ? Pour un révolutionnaire, M. Rouquier retarde. Il n’est qu’un disciple arriéré d’Antoine : naturalisme pas mort, Rouquier vient... » (Jeudi cinéma, 10 octobre 1946).
Mais, pour Marcel Carné, « ce film a trop de force et apporte avec lui une telle révolution qu’il ne peut pas ne pas se faire sa place par sa propre valeur. »
Dans ce même numéro de Cinémonde (24 septembre 1946), Jacques Doniol-Valcroze rapporte ces propos de Jacques Becker : « Farrebique est un film révolutionnaire. Les révolutions sont toujours en avance sur leur temps. Le véritable film d’avant-garde de ces dernières années n’est pas Citizen Kane, c’est Farrebique. »
Cependant, Jeanson ne désarme pas, et attaque sur un autre terrain : « Pas curieux de sa nature et conformiste par son goût, M. Rouquier nous présente des paysans idylliques comme on en rencontre dans ‘les veillées des chaumières’ ».
« Démagogie et bouse de vache.
- Ne bougez plus ! On tourne ! Maréchal nous voilà ! »
Réactions des partisans : « Ce n’est pas un film de propagande, prêchant le retour à la terre, tel que Vichy aurait pu nous le montrer. » (La Vie heureuse, 27 novembre 1946).
« Ce n’est pas un film ‘retour à la terre’. Autant dire d’autres bêtises comme les Portes de la nuit est un retour à la Chapelle ou La Belle et la Bête un retour aux candélabres » (O’Brady, Cinémonde, 4 février 1947).
Reste alors un dernier grief, l’absence de réalité « sociale » du film, et le « recul » de l’auteur.
« Évidemment, j’aurais aimé que Rouquier prenne parti, regrette Pierre Laroche. C’est même le seul reproche que je ferai à son film, mais il me répondra que là n’était pas son propos. » (Le Patriote de Nice, 2 octobre 1946)
« C’est un très beau film, criant de vérité, qui n’a qu’un défaut, il passe à côté du problème social », déclare Georges Ribemont-Dessaignes à ce même journal (3 octobre 1946).
« Il ne mêle pas suffisamment, à mon avis, les paysans qu’il nous montre à la vie économique et sociale de leur temps ; on ne les voit jamais par exemple s’inquiéter du prix du blé ou des engrais, ni du sort de leur pays, auquel pourtant les gens de chez nous sont pour la plupart si attentifs. » (Pol Gaillard, L’Humanité, 5 février 1947)
« J’eusse, pour ma part, aimé que ces paysans fussent davantage mêlés à la vie de leur siècle, malgré leur isolement géographique. » (Gilbert Badia, La Marseillaise, 12 février 1947)
« C’est un fait assez curieux que les problèmes collectifs qui affectent les cultivateurs d’aujourd’hui ne soient jamais évoqués. » (Raymond Barkan, Le Patriote de l’Oise, 26 février 1947)
« Il y a tout un côté social qui n’a pas été suffisamment été mis en lumière, malgré les passages un peu étriqués de la batteuse, de l’église et du café. » (Guillot de Rode, Le Courrier de l’étudiant, 19 février 1947)
« Farrebique ne nous livre qu’un aspect, très limité, de la vie paysanne. Rouquier a été infidèle à son dessein. Il a, en effet, été victime d’un certain impressionnisme qui lui a fait négliger la vérité psychologique au profit de la beauté des gestes éternels de la vie, de l’amour et de la mort. » (Claude Després, La France catholique, 18 avril 1947)
Un jugement que ne partage pas Michel de Saint Pierre : « L’auteur n’a pas voulu représenter la vie, à telle époque, d’une famille de paysans du Rouergue. Il a voulu célébrer les fiançailles éternelles de l’homme avec la terre. Nous avons là un document d’une portée générale, dont l’âpre pudeur n’a que faire de l’actualité. » (Témoignage Chrétien, 21 mars 1947)
Et France Roche conclut : « Ignorante du régionalisme, du folklore, de la propagande, l’histoire de Farrebique ne critique, ni ne conseille. Elle montre. » (Cinévie, 18 février 1947)
Alors, en définitive ?
« Farrebique, c’est, si vous voulez, de l’actualité éternelle. Vous pouvez projeter ça devant des Chinois, des Hindous, des Russes, des Danois, des Esquimaux. Ils comprendront. » (Georges Altman, Franc-tireur, 2 octobre 1946)
« ... bande médiocre, artificielle, conventionnelle et fastidieuse qui dissimule, sous une feinte simplicité, une prétention réelle. » (Henri Jeanson – Huguette ex- Micro, Le Canard enchaîné, 19 mars 1947).
« Plus qu’un film naturiste et poétique à la fois, Farrebique est une œuvre implacablement marquée par l’inconstance de notre époque. » (Jacques Chastel, L’Alliance nouvelle, 4 avril 1947)
« Je ne sais s’il s’agit d’un chef d’œuvre, mais ce dont je suis sûr, c’est de la qualité exceptionnelle de ce très beau poème cinématographique. » (Pierre Laroche, Le Patriote de Nice, 2 octobre 1946)
« Si on ne produisait que des Farrebique, personne n’irait plus au cinéma, mais au milieu de toutes les autres productions, Farrebique fait figure de chef d’œuvre exceptionnel. » (Charles Ford, Agence d’informations cinématographiques, 20 décembre 1946)
« L’exemple donné, s’il était suivi, risquerait d’avoir de funestes conséquences. On ne voit pas pourquoi on ne filmerait pas ensuite, en long-métrage, la vie du métallo, celle du pêcheur de sardines ou celle du garde-barrière » (Raymond Jarry, Le Miroir de la semaine, 2 mars 1947).
« Farrebique est une œuvre à part dans le cinéma français ; elle ouvre une voie sans issue et doit être considérée comme une manifestation exceptionnelle, et dans l’ensemble réussie, et non point comme un modèle. » (Jean-Pierre Morphé, Bref, 15 février 1947)
« Il me semble bien que la réussite de Georges Rouquier ne puisse servir d’exemple. On ne retrouve pas deux fois des paysans parlant avec le naturel des fermiers de Farrebique. » (L’Epoque, 24 janvier 1948)
« Farrebique représente une date dans l’histoire du cinéma français ; un chef d’œuvre est né, mais non une école » (J. Homolle, L’Enseignement, 15 juin 1947).
La polémique reste ouverte, même si l’originalité de la démarche trouve en fin de compte deux analystes visionnaires en la personne de Jean Rougeul et André Bazin.
« Que Rouquier ait pu trouver si exactement devant sa caméra le point sensible où un très simple document touche le cœur plus profondément qu’une action dramatique, c’est évidemment sensationnel et cela suffit à le classer, dès maintenant, comme un des plus grands réalisateurs qu’on ait jamais connus au cinéma » (J. Rougeul, Spectateur, 24 septembre 1946).
« Je tiens Farrebique pour un grand événement. Un des très rares films français qui, avec L’Espoir de Malraux, ait au moins pressenti la révolution réaliste dont le cinéma avait besoin, révolution qui vient d’éclater d’un coup en Italie et dont les cinéastes d’outre mont ont su tirer en moins de deux ans des leçons si parfaites qu’on tremble qu’elles ne recèlent déjà leur académisme. » (André Bazin, Esprit, avril 1947).
A André Bazin, également, ce mot de la fin, en forme de boutade : « Un critique cinématographique, sans doute trop distingué, se plaint dans son papier d’avoir vu les vaches bouser, la pluie tomber, les moutons bêler, les paysans patoiser, de quoi, dit-il, vous dégoûter de la campagne. De quoi vous dégoûter des critiques de cinéma. » (Conquêtes, avril 1947)
Ce texte a été originellement publié dans Images Documentaires 64, (2008).
Un grand merci à François Porcile et Catherine Blangonnet-Auer.