Pas de deux. Le cinéma de Anne-Marie Miéville
À l'occasion de la rétrospective Anne-Marie Miéville à Bruxelles (4 - 30 octobre 2018), Sabzian, Courtisane et CINEMATEK ont compilé, édité et publié la publication Pas de deux. Le cinéma de Anne-Marie Miéville.
Cette publication tente d’esquisser le trajet d’Anne-Marie Miéville à l’aide d’une série de textes et interviews réalisés entre 1984 and 2018, réunis ici pour la première fois dans leurs versions française et anglaise.
Pas de deux. Le cinéma de Anne-Marie Miéville sera disponible au CINEMATEK pendant la rétrospective.
Vous trouverez notre sélection de la rétrospective Anne-Marie Miéville ici.
« L’amour ne sera plus le commerce d’un homme et d’une femme, mais celui d’une humanité avec une autre. »
Cette citation de Rainer Maria Rilke à la fin du film Lou n’a pas dit non (1994) définit avec verve l’essentiel de la quête d’Anne-Marie Miéville, portée par une question universelle et intemporelle : comment vivre ensemble ? Le film illustre par excellence la façon dont son parcours singulier se fraie un chemin dans l’histoire de l’art sous toutes ses formes, de la sculpture du couple mythique de Mars et Vénus – qui occupe une place centrale dans le film – au « pas de deux » circonstancié de la chorégraphie Docteur Labus de Jean-Claude Gallotta – rendant compte de la vaste palette d’émois et de tensions entre un homme et une femme. Encore et toujours, la relation à l’autre est analysée comme un champ de tension perpétuelle entre inertie et mouvement, silence et parole.
Les délicates études de Miéville sur les défis de la communication et les épreuves de l’amour sont déjà au cœur de son premier court-métrage, How Can I Love (a Man When I Know He Don’t Want Me) (1983), dont le titre est emprunté à Carmen Jones (1954) d’Otto Preminger. Et ce n’est pas un hasard si le thème de Carmen rappelle le Prénom Carmen (1983), le film dont Miéville a livré le scénario à Jean-Luc Godard, son compagnon à la ville et à la scène depuis leur collaboration sur le film qui deviendrait Ici et ailleurs (1973-‘76). Mais alors que Prénom Carmen s’articule autour de l’amour à sens unique d’un homme pour une femme, les rôles sont inversés dans How Can I Love. Une inversion qui change tout, comme le fait remarquer Alain Bergala, notamment sur le plan de la mise en scène qui restitue le désir d’être ensemble comme une arène dans laquelle les hommes se protègent le plus souvent parce qu’incapables de s’ouvrir à un possible dialogue ou hostiles à l’idée.
Le personnage masculin qui a perdu confiance dans le potentiel du discours revient dans le court- métrage Le Livre de Marie (1984-‘85), où Miéville filme une séparation, avec une élégance et une précision remarquable, à partir de la perspective d’une petite fille qui exprime sa résistance au drame parental à la faveur du langage, de la musique et de la danse. Dans son premier long-métrage, Mon cher sujet (1988), trois femmes d’autant de générations – grand-mère, mère et fille – font usage de la force de la parole et du chant pour se faire une place dans un monde où les femmes sont censées tout partager, tandis que les hommes ont tendance à se dérober de tout engagement de partage. Dans son film suivant, Lou n’a pas dit non, c’est encore la femme qui permet un échange, qui le rend possible par le biais de l’exploration de différentes formes d’expression et de création, dans un mouvement perpétuel d’approche, d’affrontement puis de réconciliation.
Comment donner corps à une communauté dans la différence ? Dans Nous sommes tous encore ici (1996), initialement élaboré pour le théâtre, Miéville aborde cette question à travers des extraits d’ouvrages de Platon et de Hannah Arendt. Ceux-ci trouvent une résonance dans la vie d’un couple interprété par Jean-Luc Godard et Aurore Clément – celle-ci évoquant indéniablement la présence de Miéville. Dans Après la réconciliation (2000, Godard et Miéville incarnent deux des quatre personnages qui se prêtent à une réflexion philosophique sur les pouvoirs et les limites de la parole et le défi d’apprendre à vivre avec cet autre qui restera à jamais un étranger. Brutale et troublante par moments, tendre et réconfortante à d’autres, l’œuvre d’Anne-Marie Miéville force à garder confiance en « cet amour que nous préparons en luttant durement : deux solitudes se protégeant, se complétant, se limitant et s’inclinant l’une devant l’autre ». (Rilke)
Stoffel Debuysere (Courtisane) et Gerard-Jan Claes (Sabzian)