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Affinités électives entre Cecilia Mangini et Pier Paolo Pasolini

Entre 1958 et 1961, Pasolini compose le commentaire de trois courts métrages de Cecilia Mangini : Ignoti alla città [Unknown to the City], premier film de la réalisatrice, Stendalì: suonano ancora [Here They Play Again] et La canta delle marane [The Marshes’ Chant]. Entre ces deux derniers, il réalise son premier film, Accattone. Cecilia Mangini est née à Mola di Bari, dans les Pouilles, en 1927. En 1933, la crise contraint sa famille à migrer vers le Nord, à Florence, où elle passe une jeunesse fasciste par la force des choses. « Fille de la Louve », « Petite Italienne », puis « Jeune Italienne », elle s’intéresse aux projections dominicales du Cineguf – Cinéma de la Jeunesse universitaire fasciste. Pour Cecilia Mangini, après la chute de Mussolini, c’est justement le cinéma qui donne forme aux espoirs de l’après-guerre : le néoréalisme, les films étrangers qui retrouvent la voie des écrans italiens (Vertov et Eisenstein, notamment, auront une influence fondamentale sur son œuvre), les revues de cinéma. En 1951, elle part pour Rome, où elle collabore à diverses revues comme Cinema nuovo, en tant que critique et photographe. Arpentant les marges de la cité, elle découvre un anneau de faubourgs « mal famés », ces borgate que Pasolini raconte dans le roman qu’il publie en 1955, Ragazzi di vita.

(1) Ignoti alla città [Unknown to the City] (Cecilia Mangini, 1958)

Inconnus à la ville

« Quand je suis arrivée à Rome, que je ne connaissais pas, je me suis promenée, je suis allée sur la via della Conciliazione, cette rue horrible qui va de Lungotevere à San Pietro. Elle avait été construite par le fascisme, qui avait éventré tout un quartier populaire. […] Je me suis dit : « Mais où diable sont allés tous ces gens ? Que leur est-il arrivé ? » Et j’ai finalement su qu’ils avaient été déportés dans les borgate construites spécialement pour eux.1 » Depuis l’été 1950, Pasolini habite dans un faubourg précaire de la « périphérie » de Rome, à Ponte Mammolo, et il arpente la cité, et notamment ces borgate d’État où sera tourné Ignoti alla città.2 Dans un article d’avril 1957, soit quelques mois avant que Mangini ne tourne Ignoti alla città et ne lui en demande le commentaire, il écrit : « Les borgate sont nées des destructions fascistes : la première strate de la population vient donc du centre de Rome, de Borgo Pio, par exemple. Mais ensuite s’y sont ajoutées mille autres strates : réfugiés, péquenots arrivés en ville, natifs de Cassino, juste après la guerre, et, plus récemment, des immigrés venus de toute l’Italie, mais qui, traditionnellement, proviennent surtout des parties les plus italiques.3 » De fait, l’« éventration » du centre de Rome entre 1924 et 1937 a entraîné la construction de ces borgate où est parqué le sous-prolétariat romain, refoulé hors champ : entre le cœur de la ville et ce sordide anneau périphérique est laissé un espace vide, zone tampon ou sas de sécurité qui assure la non-perméabilité des espaces. En mai 1958, dans une enquête sur la périphérie romaine, Pasolini dénoncera l’hypocrisie du gouvernement démocrate qui poursuit l’œuvre du fascisme, et parle d’une Rome « inconnue du touriste, ignorée par le bien-pensant » : « ignota, ignorata[.fn]Enquête intitulée « Viaggio per Roma e dintorni » et publiée en trois fois dans Vie nuove. Repris dans Pier Paolo Pasolini, Romanzi e racconti, t. I, op. cit., 1454-1466. »

La parution de Ragazzi di vita, en mai 1955, dirige brutalement les projecteurs sur cette zone d’ombre. « Quand il a écrit Ragazzi di vita, il a donné la citoyenneté à ces oubliés, à ces exclus, à ceux qui avaient été exilés dans leur propre maison. Car dans les borgate, ils étaient des exilés chez eux, des exilés italiens, dans la maison italienne.4 » Ainsi, quand, en 1958, le producteur Fulvio Lucisano propose à Mangini de faire un documentaire, elle choisit de partir de Ragazzi di vita et prend des notes à partir du livre de Pasolini, repérant précisément des saynètes, des lieux, des détails que l’on retrouve dans son film : des ragazzi dormant au milieu des bidons, un cheval qui se baigne dans l’Aniene, le foot, un ragazzo qui se coiffe devant un miroir tout en bataillant avec sa sœur, le travail dans les décharges, les rapines, l’habillage de neuf sur le marché de Campo dei Fiori ou de San Giovanni, la prison de Porta Portese, le manège, les parties de cartes, le bain dans le Tibre ou l’Aniene, les batailles de boue, les combats de chiens, les feux d’herbes sèches, les cigarettes partagées.5 De tous les films réalisés dans le sillage de Ragazzi di vita, Ignoti alla città est le plus pasolinien, captant avec finesse la « vitalité désespérée » des « garçons de mauvaise vie ».6 Un document intitulé La Rome de Pasolini – premier titre envisagé – se termine sur cette phrase : « Voilà la Rome des « ragazzi di vita » que raconte Pasolini ; une Rome mineure, vive, débraillée, toujours nouvelle et imprévisible. »7

Un autre titre est encore donné au film, dans un « faux » document daté du 14 mai 1958. En effet, pour ne pas avoir à demander l’autorisation de tourner, la réalisatrice a recours à une fausse déclaration sur papier à en-tête du cinéjournal Orizzonte cinematografico, informant du tournage par Mario Volpi (directeur de la photographie d’Ignoti alla città) et Cecilia Mangini8 d’un numéro unique du cinéjournal, intitulé Jeux d’enfants. Un titre en apparence innocent, mais en réalité polémique, politique : le jeu ne dessine-t-il pas un espace de liberté, et donc une réaction et un défi face à l’exclusion et au « parcage » imposé aux ragazzi. Contre l’arrêt de mort signifié par leur invisibilité forcée – leur relégation en dehors des marges de la cité –, le jeu est l’affirmation de la vie malgré tout de ces ragazzi di vita. La force du roman de Pasolini, selon Cecilia Mangini, a été de décrire la vie dans les borgate avec les yeux non pas des pères – les exilés – mais des fils – ceux qui y étaient nés.9 C’est-à-dire ceux pour qui la borgata est devenu le terrain de jeu et le lieu de vie. D’autre part, le mot de « jeu » renvoie en français à l’interprétation de l’acteur devant la caméra. Certes l’italien n’emploie pas en ce sens le terme giocare, réservé à la dimension ludique du jeu, mais recitare : réciter. Pourtant ici, les ragazzi de Mangini jouent bien dans les deux sens du terme : ludique et théâtral. Car le film est un documentaire de reconstitution, c’est-à-dire que les jeunes garçons récitent un rôle devant la caméra, ils s’interprètent eux-mêmes : ils jouent leur propre vie. Si la dimension ludique du jeu (le giocare) avait une valeur politique, le recitare n’est pas moins polémique : « Face à la caméra, ils s’interprétaient eux-mêmes avec une sorte de bonheur et d’orgueil », se souvient Cecilia Mangini.10

Or il aura fallu aussi, pour la réalisatrice, entrer dans la danse : il aura fallu que sa participation au jeu soit acceptée. « Le jeu est la chose la plus importante, car tout homme qui écrit des livres, des poésies, qui peint, qui fait du cinéma, qui sculpte, est un grand joueur. C’est le plus grand jeu qui puisse exister. »11 La reconstitution est ici porteuse d’un engagement physique et éthique, celui de l’entrée sur un territoire « autre », et du rapport de confiance noué avec les ragazzi pendant les semaines de repérages.12 L’on peut supposer que fut à l’œuvre une dialectique d’identité-altérité pas très éloignée de celle vécue par Pasolini dans les borgate. Bourgeois tous deux, Mangini et Pasolini ont sans nul doute découvert dans cette périphérie de la ville des liens avec leur propre marginalité intime : l’attirance pour le prolétariat, être homosexuel ou être femme – pire : femme-photographe. En tant que photographe, déjà, elle pratiquait « une profession considérée comme pas beaucoup plus licite que la prostitution, et qui, au mieux, tolérait [la femme] comme sujet photographique, et bien entendu rendue angélique ».13 Pour les repérages, Cecilia arpente les borgate : les prés de la Cecchignola, l’Acquasanta, Tiburtino III, la zone de Donna Olimpia à Monteverde Nuovo, le Quarticciolo, Casal Bertone, Pietralata, Gordiani, Trullo. Par endroits, dans les notes de repérage, elle indique : « Rome de Pasolini. » Ces lieux, qui constituent le cadre de Ragazzi di vita, et que filme Mangini, Pasolini les connaît par cœur : entre 1950 et 1954, il vit avec sa mère à Ponte Mammolo, puis en 1954 il emménage à Monteverde Nuovo, où il rencontre Franco Citti, futur Accattone, et son frère Sergio, qui devient son guide dans les borgate et qui l’initie au romanesco. En 1957, Fellini avait fait appel à Pasolini – passé maître ès-borgate depuis la parution de Ragazzi di vita – pour sa connaissance du langage et des us et coutumes de la périphérie romaine, où se déroulent des scènes des Nuits de Cabiria.

Pourtant, Pasolini n’assiste ni aux repérages ni au tournage d’Ignoti : ce n’est qu’une fois le film monté que Mangini fait appel à l’écrivain, qui voit le film deux fois, prend quelques notes, et envoie son texte deux ou trois jours plus tard. Cela se passera de la même manière pour Stendalì et La canta delle marane. Depuis 1955, Pasolini travaille sur un recueil de poèmes qui sera publié en mai 1961 sous le titre La religione del mio tempo : Ignoti trouve si naturellement sa place dans ce travail poétique en cours que le poète peut reprendre pour le commentaire du film des textes sur lesquels il est en train de travailler. Une partie du commentaire d’Ignoti se trouve ainsi également dans le poème ‘Sesso, consolazione, miseria’ de La religione, et l’on trouve dans des versions préparatoires de La religione d’autres passages du commentaire d’Ignoti qui n’ont pas été repris dans la version publiée. Un élément du commentaire, parmi bien d’autres, fait le lien entre Ragazzi di vita et Accattone : la litanie des surnoms, égrenée dans Ignoti comme elle l’a été dans Ragazzi et comme elle le sera dans le journal écrit par Pasolini avant le tournage d’Accattone : « Accattone, Giorgio il Secco, lo Scucchia, Alfredino, Peppe il Folle, le Sceiffo, il Bassetto, il Gnaccia […]. »14 Les mots comme voie d’accès à un monde, les noms comme une identité rendue à tous ces visages eux-mêmes remis dans le champ.

(2) Stendalì: suonano ancora [Here They Play Again] (Cecilia Mangini, 1960)

Stendalì, elles sonnent encore

Ragazzi di vita avait été dénoncé par la censure pour obscénité et pornographie. Le film de Mangini fut censuré pour incitation à la délinquance. Il semblait sûrement préférable que les ragazzi restent ignoti : inconnus, ignorés. Au même moment, en 1959, Vittorio De Seta réalise en Calabre un court métrage intitulé I dimenticati : les « oubliés » y sont les habitants d’Alessandria del Carretto, village de Calabre qu’aucune route ne permet d’atteindre. En septembre 1959, Pasolini est l’objet d’une polémique dont le cœur est un mot : banditi – « bandits » ou « bannis ». Il vient en effet de publier un article où il parle des « banditi » de Calabre, qui vivent « en dehors de la loi, ou, si ce n’est de la loi, de la culture de notre monde, à un autre niveau ».15 On l’accuse d’insulter la Calabre par ce terme de banditi, et de ne pas sentir la grandeur de la Grande Grèce. Pasolini répond qu’il a choisi ce terme 1) au sens premier du verbe bandire : « bannir », 2) au sens qu’il a dans les westerns,16 3) avec une profonde sympathie.17

En 1945, la parution du livre de Carlo Levi, Le Christ s’est arrêté à Eboli, avait été un détonateur : loin de l’idéologie strapaese du fascisme, il avait attiré l’attention sur les bannis du Sud, sur leur misère, mais aussi sur leur résistance et les ressources de leurs traditions. L’ethno-anthropologie, sous la férule d’Ernesto De Martino, avait mis au jour la « question méridionale ». En 1958 paraît Mort et lamentation funèbre dans le sud de l’Italie, résultat d’une série d’expéditions en Lucanie destinées à observer et documenter un rite trimillénaire en voie de disparition. Cecilia Mangini dit avoir lu le livre en une nuit, avec son époux Lino Del Fra, et avoir décidé sur-le-champ de filmer un rite de lamentation : Stendalì est tourné en septembre 1959, à Martano, dans la province de Lecce dans les Pouilles. Dans la foulée, Cecilia tourne à Mola di Bari Maria e i giorni, portrait de l’antique paysanne qui l’avait baptisée à sa naissance, pour qu’elle n’erre pas indéfiniment dans les limbes si elle mourait. De retour à Rome, Mangini écrit à Pasolini : « Cher Pasolini, Je vous ai cherché il y a quelques jours, et vous étiez déjà parti pour Milan. Je voulais vous montrer deux documentaires, et vous demander d’en faire le commentaire, ou, mieux, le commentaire pour l’un et le texte pour l’autre. Quand comptez-vous rentrer ? Je vous attends avec une certaine impatience. »18 Cecilia composera finalement le texte de Maria, et Pasolini celui de Stendalì.

Le film est un documentaire de reconstitution mettant en scène la lamentation d’un chœur de femmes sur le corps d’un jeune garçon, et il a été postsynchronisé : les femmes de Martano se sont ensuite doublées elles-mêmes en salle de montage. Ce sont des professionnelles de la lamentation – des « femmes tout à fait exercées à la mise en œuvre ce dispositif de sécurité contre l’angoisse de la mort : ce sont les femmes qui « pleurent bien »19  » – et elles ont conscience d’enregistrer un rite en voie de disparition : « Si nous mourons, le chant meurt », lui dit l’une d’entre elles.20 Le sous-titre du film n’est d’ailleurs que la traduction de Stendalì, qui, en dialecte griko, signifie « elles sonnent encore » : le son des cloches qui ouvre le film place ainsi le rituel sous le signe d’une survivance résistante. Sur les images et la bande sonore de lamentations, Cecilia Mangini monte la musique d’Egisto Macchi et le texte composé par Pasolini, lu par Lilla Brignone. La reconstitution du rituel et la stylisation de la prise de vues et du montage – influencés par le cinéma soviétique : jeux de plongées et contre-plongées, expressivité des gros plans frontaux et du noir et blanc, rapports dynamiques du montage – ont fait grincer des dents et récuser le caractère ethnographique du film. Cecilia Mangini n’a jamais eu prétention à faire un document scientifique. Pourtant, si l’on étudiait plus avant Stendalì, l’on mesurerait l’importance des affinités entre la mise en scène cinématographique et la mise en scène rituelle de la crise de deuil, dont De Martino étudie en détail (gestes, images, paroles, chants, rythmes) la dialectique authenticité-artifice.21

Pour le commentaire, Cecilia Mangini fait appel non plus au Pasolini de Ragazzi di vita, mais à celui du Canzoniere italiano, recueil de chants populaires italiens, paru lui aussi en 1955, et qui comporte une section sur les Pouilles. Ce qu’elle ne sait peut-être pas, au moment où elle fait appel à lui, c’est que Pasolini voue une grande admiration à De Martino. Dans une lettre du 31 août 1953 adressée à Gianfranco D’Aronco, il évoque l’aide que lui a promise De Martino pour l’anthologie de la poésie populaire qu’il est en train de composer pour l’éditeur Guanda, et qui sera justement le Canzoniere italiano. Dans un article de 1955, « Poésie populaire et poésie d’avant-garde », il renvoie à deux articles de l’ethnologue, qui traitent tous deux de la lamentation funèbre en Lucanie.22

Au moment où Pasolini va en salle de montage voir le film de Cecilia Mangini, l’argument est donc loin de lui être inconnu. Pour composer le commentaire, il monte ensemble des fragments de quatre chants funèbres en griko, puisés dans le livre de 1870 de Giuseppe Morosi, Studi sui dialetti greci della terra d’Otranto, qu’il avait eu l’occasion de consulter pour la section des Pouilles du Canzoniere, et qu’il reprend en modifiant parfois légèrement les textes.23 Le griko, survivance du grec byzantin mêlé au salentin, est un dialecte parlé dans l’enclave hellénophone de la « Grecìa Salentina », dans la région du Salento : une survivance de la Grande Grèce, qui fascine Pasolini au moins depuis le voyage qu’il a effectué dans les Pouilles en 1951.24 Ici, le texte n’est donc plus à proprement parler de Pasolini, et pourtant, le poète compose un centon, un montage original de fragments s’unifiant dans une poésie intime dite à la première personne.

À l’origine, les textes des lamentations sont des formules stéréotypées, sans auteur, susceptibles précisément d’être reprises et modulées à chaque événement : « Le chant populaire erre, pour ainsi dire, de chanteur en chanteur, menant une existence plastique et comme rêveuse, qui comprend des développements, des diminutions, des transpositions, des contaminations, des dédoublements, des transformations métriques, etc. », écrit Ernesto De Martino dans cet article que connaissait bien Pasolini.25 En reprenant ces textes, Pasolini assume une parole pluriséculaire et participe de son invention continue. D’autre part, en réalisant un collage de quatre chants : deux lamentations d’une mère pour sa fille, l’une de Calimera et l’autre de Martano, une lamentation de Zollino d’une mère pour son fils, et une autre de Martano d’une fille pour sa mère – dont la structure était elle-même dialogique –, Pasolini compose un monologue, subsumant les textes sous un « je » unique. Il y a là une poétique d’invention proprement pasolinienne, qui consiste à inventer, au sens archéologique, c’est-à-dire à exhumer des choses en voie de disparition, pour leur rendre la vie par la mise en pièces et la recomposition en de nouveaux agencements.

Mais on peut aller encore plus loin, comme le suggère Cecilia Mangini, pour qui Pasolini, dans ce commentaire de Stendalì qui commence par les mots : « Pleurez, mères qui avez des fils », dit la douleur de sa propre mère, Susanna Pasolini, dont le fils est mort dans les guerres partisanes de la Libération. Composant ce texte à la première personne, Pasolini devient à la fois toutes les voix qui l’ont proféré auparavant, et sa propre mère pleurant Guido, le frère de Pier Paolo, qui prend ainsi la place du jeune garçon étendu dans le cercueil. D’une certaine manière, Stendalì anticipe d’autres figures de lamentation de l’œuvre pasolinienne, à commencer par la figure de Marie, mater dolorosa éplorée au pied de la croix, qu’il fait interpréter par sa mère dans L’Évangile selon saint Matthieu. Mais l’on songe aussi à la mère de Médée lorsqu’elle apprend le diasparagmos – le dépècement – de son fils Apsyrte, ou à ces images d’archive de la guerre du Biafra par lesquelles Pasolini figure le meurtre d’Agamemnon dans le Carnet de notes pour une Orestie africaine : les dernières images montrent une jeune femme se lamentant à côté d’un trou que l’on creuse. Autant de figures dont les gestes, comme ceux du chœur de pleureuses de Stendalì, sont enracinés dans l’Antiquité.26

(3) La canta delle marane [The Marshes’ Chant] (Cecilia Mangini, 1961)

Le chant des fossés

En 1961, Cecilia Mangini retourne filmer dans les borgate. Mais alors que le tournage d’Ignoti s’était déroulé dans une multiplicité de lieux, La canta delle marane se déroule en un lieu unique : un « fossé d’eau stagnante » – signification du terme romanesco marana – qui se situe en contrebas de la via Tiburtina, à proximité de Ponte Mammolo, où Pasolini a vécu entre 1950 et 1954. Après quelques années à Monteverde Nuovo, il a emménagé en 1959 à Monteverde Vecchio, dans le même immeuble que le poète Attilio Bertolucci et son fils, Bernardo, qui est au printemps-été 1961 l’assistant de Pasolini sur son premier film, Accattone. La canta delle marane est tourné juste après, à l’été 1961. La canta met en scène un monde qui reste en marge du miracle économique, mais la boue de l’eau stagnante ne suscite aucun misérabilisme, au contraire : avec légèreté et humour, Cecilia Mangini réenchante ces fossés et révèle l’inépuisable et antique joie des ragazzi di vita, « garçons de mauvaise vie », peut-être, mais de vie, surtout.

Comme dans les deux autres films, la bande son est très travaillée, en étroite relation avec les images : sifflements, registres musicaux (comme dans Stendalì, c’est Egisto Macchi qui compose la musique), choix des voix (on retrouve Pino Locchi, qui disait le texte d’Ignoti alla città), modulation des intonations, silences. Si Stendalì s’ouvrait sur l’itération inlassable des cloches, La canta s’ouvre sur un cri strident, sauvage, qui va crescendo, sur un plan du ciel en contre-plongée. La source en surgit soudain, par en bas : un gamin qui frappe sa bouche du plat de la main pour moduler son cri. Le chant des fossés est entré violemment dans l’image comme un retour du refoulé. Dans Ignoti alla città, le texte était à la troisième personne, en italien ; trois ans plus tard, Pasolini compose un texte original à la première personne, en romanesco, entrant dans la peau d’un ragazzo di vita. Il effectue ainsi cette « régression de l’auteur dans le milieu décrit, jusqu’à en assumer l’esprit linguistique le plus intime », dont il parlait à propos de Gadda dans un texte du 18 janvier 1958 : cette phrase, Pasolini la reprend à son propre propos quelques mois plus tard.27 Mais celui qui parle est un ragazzo devenu adulte, qui commenterait avec nostalgie les images d’un passé heureux. « Quel bon temps c’était, le temps des fossés… Quand j’y repense, il me semble que c’était hier, et pourtant, tant d’années ont passé, et j’m’en suis même pas aperçu », dit le texte vers la fin du film. Le commentaire de Pasolini instaure ainsi un jeu de réflexions entre la voix narrative et les ragazzi, jeu fait de proximité et de distance, d’identité – il fut l’un des leurs – et d’altérité – il ne l’est plus. Le texte déplace ainsi la fiction de La canta delle marane, en projetant les images dans un âge d’or révolu : âge d’or de l’enfance personnelle – les bords de l’Adige dans le Frioul, peut-être plus encore que la période des borgate romaines – mais aussi d’une Italie en train de disparaître, et que Pasolini cherchera ensuite dans le Sud, puis dans les pays du tiers-monde.

La canta est ainsi la troisième occurrence d’une incarnation de Pasolini dans l’œuvre de Cecilia Mangini. Un détail du film donne la mesure des affinités électives entre les deux cinéastes. Avant le hurlement initial et le surgissement d’un ragazzo dans le premier plan, une autre image était là : la reproduction des Mariés de la tour Eiffel de Chagall, annonciation moderne sur laquelle défilait le générique. Le choix de ce peintre n’est pas anodin : après sa rencontre avec l’univers de Chagall au Jeu de Paume en 1947, Cecilia Mangini avait écrit un projet de documentaire sur le peintre, Magie de Chagall, où l’on peut lire : « Chagall a « chanté », plus que raconté, le mal, la mélancolie, les abus et les angoisses de notre temps : les pogroms de son peuple, revécus dans le thème de la fuite en Égypte, le monde du cirque, c’est-à-dire des déracinés créateurs d’illusions acrobatiques, et le motif de l’amour, comme tension des hommes vers la félicité et la libération. »28 La réalisatrice a recadré la toile, laissant hors champ la tour Eiffel et le couple, et ne conservant que l’ange qui leur tend des fleurs. En montant à la suite un ange et ce ragazzo au cri sauvage, Cecilia Mangini contamine le sublime et l’humble, le noble et le vulgaire, la référence iconographique et religieuse et la boue des fossés. Et l’on songe à Accattone, cet autre ragazzo qui, à la même époque, fait le « saut de l’ange » depuis le pont Saint-Ange devant le château du même nom. Figure christique, comme tous ces poveri cristi – littéralement des « pauvres christs » : les pauvres hères du cinéma pasolinien qui ont en partage innocence et vitalité désespérée. L’on songe à un désespérée. L’on songe à un autre ragazzo : Ninetto, qui sera le messager de L’Évangile selon saint Matthieu, l’ange annonciateur de Théorème, et qui, dans La Séquence de la fleur de papier, parcourt la via Nazionale en sautillant, ange ou oiseau qui tient une rose rouge. L’alliance de l’ange et du ragazzo est un détail qui fait sens : Cecilia Mangini a fait appel à Pasolini parce qu’elle avait trouvé dans son œuvre un écho à ses propres préoccupations. En retour, si Pasolini a su se mettre à ce point en symbiose, par ses commentaires, avec l’œuvre de la cinéaste, c’est que cette œuvre entrait en correspondance intime avec son univers.

L’on peut aussi évoquer la saynète burlesque de l’arrivée des gardes dans La canta delle marane, qui nous emmène quelques années plus tard dans le cinéma pasolinien, quand le facétieux Ninetto-Charlot d’une scène des Contes de Canterbury fait tomber des policiers dans la Tamise. Ce n’est plus l’ange et le ragazzo, mais le jeu chaplinesque d’une mise en déroute de l’autorité. Terminons par le dernier plan de La canta, qui met soudain en péril, en question, la posture du spectateur : de regardant, il devient regardé, soumis aux regards et aux gestes de défi des ragazzi, filmés frontalement dans un lent travelling qui les parcourt l’un après l’autre. Ignoti, dimenticati, banditi – inconnus, oubliés, bannis –, ils semblent retourner vers nous le geste d’exclure, de rejeter, nous refusant l’accès à leur monde et à cette antique et vitale allégresse dans laquelle le film nous a précisément donné envie d’entrer. Le regard-caméra devient le miroir, la surface réflexive, d’une dialectique d’identité-altérité problématique, qui sera au cœur d’autres regards-caméra du cinéma pasolinien, dans les Repérages en Palestine pour l’Évangile selon saint Matthieu, les Notes pour un film sur l’Inde, le Carnet de notes pour une Orestie africaine ou Les Murs de Sanaa.

(4) La canta delle marane [The Marshes’ Chant] (Cecilia Mangini, 1961)

Aux armes, nous sommes fascistes !

Le texte proposé par Pasolini à Cecilia Mangini et Lino Del Fra a été assez peu modifié pour la version définitive de La canta delle marane : des phrases déplacées, quelques mots supprimés, et les derniers mots ajoutés par Lino Del Fra. Parmi les éléments non gardés se trouve une chanson que Pasolini mettait dans la bouche de son narrateur, tout de suite après la première phrase qui dit : « Quelle bande on était ! On avait fait une bande, la vraie bande de Têtes brûlées. » Ici, le commentaire se poursuivait ainsi : « (Chantant sur l’air d’All’armi siam fascisti !) : Courez, fuyez ! Arrive Tête-brulée, de la borgata ! », etc. All’armi siam fascisti ! est précisément un autre film de Cecilia Mangini, coréalisé avec Lino Del Fra et Lino Miccichè, projeté à la Mostra de Venise en août 1961, mais qui resta bloqué par la censure jusqu’au printemps 1962. Le 30 septembre 1961, Pasolini avait écrit dans un article de Vie nuove : « Ces derniers jours j’ai vu en projection privée le film All’armi siam fascisti ! – qui est un film magnifique, une des œuvres cinématographiques les plus émouvantes que j’aie jamais vues. ». Au moment du tournage de La canta delle marane, All’armi, film de montage sur le fascisme, vient de susciter de violents affrontements et polémiques dans une Italie peu encline à se pencher sur son passé fasciste, et encore moins sur le fascisme présent qui clôt le film avec les événements de Reggio Emilia. En proposant, dans le commentaire de La canta, que soit chantée cette chanson, Pasolini semble lui aussi vouloir souligner une continuité entre le fascisme passé et ses rémanences ou résurgences présentes.

Quelque temps plus tard, début 1963, il réalise lui-même un film de montage, La Rage, et il n’est pas impossible que l’idée pasolinienne d’une distribution du commentaire en deux voix – la voix en prose de Renato Guttoso et la voix en poésie de Giorgio Bassani – ait son origine dans les trois voix qui prononcent le texte de Franco Fortini dans All’armi : voix de la chronique (Emilio Cigoli), voix de l’Histoire (Nando Gazzolo) et voix du « nous » (Gian Carlo Sbragia). Surtout, dans La Rage, Pasolini pratique une même opération d’archéologie du contemporain, ou d’un passé ultrarécent, par la mise au jour d’images refoulées ou inaperçues, et par un remontage qui en démonte le discours et en extrait une réflexion historique. Images dans les films de montage, visages, gestes, lieux, dans Ignoti, Stendalì ou La canta : il s’agit en fait de sans cesse (re)mettre dans le champ ce qui gêne l’idéologie officielle. C’est ce qu’admire Pasolini chez le Caravage, dans un texte de 1974 : « Il s’est aperçu qu’autour de lui, exclus par l'idéologie culturelle en place depuis environ deux siècles, il y avait des hommes qui n’étaient jamais apparus dans les grands retables ou dans les tableaux, et qu’il y avait des heures du jour, des formes de lumière, labiles mais absolues, qui n’avaient jamais été reproduites et qui, repoussées toujours plus loin de l’usage et de la norme, avaient fini par devenir scandaleuses et avaient donc été oubliées. Au point qu’on peut supposer que les peintres, et les hommes en général, jusqu’au Caravage, ne les voyaient probablement même pas.29

(5) La canta delle marane [The Marshes’ Chant] (Cecilia Mangini, 1961)

  • 1Entretien avec Cecilia Mangini, 28 mars 2011, Créteil.
  • 2Lors de la journée d’étude « Pier Paolo Pasolini, le village et le monde » du 28 octobre 2013 à la Cinémathèque française, Alain Bergala, dans sa conférence intitulée « Rome, la Vision et la réalité », a rappelé que le mot borgata désignait trois réalités différentes : les bidonvilles comme le Mandrione, avec des baraquements construits sous et contre les arcs de l’aqueduc Felice ; les borgate libres, éparpillées, avec de petites constructions en dur, que l’on voit dans Les Nuits de Cabiria ou Accattone ; et les borgate d’État, comme Casal Bertone, grands immeubles de type HLM, dont les premières ont été construites sous le fascisme, et que l’on voit au début du Voleur de bicyclette et dans Mamma Roma.
  • 3« Roma malandrina », Rotosei, 12 avril 1957. Repris dans Pier Paolo Pasolini, Romanzi e racconti, t. I, Walter Siti et Silvia De Laude (éd.), Milano, Mondadori, 1998, 1444-1447.
  • 4Entretien cité avec Cecilia Mangini.
  • 5Les notes de Mangini sont conservées dans les archives Del Fra-Mangini à la Cinémathèque de Bologne.
  • 6« Une vitalité désespérée » est le titre d’un poème du recueil Poésie en forme de rose, que Pasolini publie en 1964.
  • 7« Denuncia di lavorazione », archives Del Fra-Mangini.
  • 8En réalité, à la suite d’une coquille, elle est appelée « Clelia Mangini » dans ce document (archives Del Fra-Mangini).
  • 9Entretien cité avec Cecilia Mangini.
  • 10Echange par e-mail avec Cecilia Mangini, le 26 février 2013.
  • 11Entretien avec Cecilia Mangini, 1er mars 2013, Rome.
  • 12En témoigne le carnet d’adresses où la réalisatrice a noté les coordonnées des ragazzi rencontrés lors des repérages (archives Del Fra-Mangini).
  • 13Claudio Domini (dir.), L’impero dell’immagine. Cecilia Mangini, fotografa, 1952-1965 (Trieste: Asso-ciazione culturale il Nodo, 2009), 4.
  • 14Pier Paolo Pasolini, « La vigilia. Il 4 ottobre », Romanzi e racconti, t. I, op. cit., 1555.
  • 15Pier Paolo Pasolini, « La lunga strada di sabbia », Romanzi e racconti, op. cit., 1511.
  • 16Les « banditi » de Calabre pourraient donc être les Indiens des westerns, bannis de leur propre territoire.
  • 17Pier Paolo Pasolini, « Una lettera sulla Calabria », Saggi sulla politica e sulla società, Walter Siti et Silvia De Laude (éd.) (Milan: Mondadori, 1999), 727.
  • 18Lettre du 29 novembre 1959, conservée à Florence (Archivio Contemporaneo Alessandro Bonsanti. Gabinetto G.P. Vieusseux).
  • 19Ernesto De Martino, « Note di viaggio », Nuovi Argomenti, no 2, mai-juin 1953, 47-79, cit. 77.
  • 20Mirko Grasso, Stendalì (Kurumuny: Kurumuny edizioni, 2005), 38.
  • 21Cecilia Mangini et Lino Del Fra ont tourné Stendalì sans consulter De Martino, qui n’est pas cité au générique. Après avoir vu le film, l’ethnologue leur propose de tourner La passione del grano, que Lino Del Fra réalise en 1960.
  • 22Ernesto De Martino, « Note di viaggio », art. cit., et « Considerazioni storiche sul lamento funebre lucano », Nuovi Argomenti, no 12, janvier-février 1955, 1-42. Le premier texte est la source directe de quatre chants de la section sur la Lucanie du Canzoniere. Quant au second, il figure justement dans Nuovi Argomenti aux côtés d’un article de Pasolini sur la poésie populaire italienne, « Pagine introduttive alla poesia popolare italiana ».
  • 23La même année, en 1958, Pasolini compose le commentaire du court métrage de Mario Gallo, Il mago, et puise là aussi dans le Canzoniere pour composer un centon de chants populaires.
  • 24« Les Pouilles regardent vers la Grèce », avait-il écrit dans des cartons préparatoires à l’article « Le due Bari », publié le 8 août 1951 dans Il Popolo di Roma. Mirko Grasso, Pasolini e il Sud (Bari: Edizioni dal Sud, 2004), 48.
  • 25Ernesto De Martino, « Note di viaggio », art. cit., 60-61.
  • 26À la fin de son livre, De Martino joint un « Atlas figuré du pleur de lamentation », regroupant trois types de matériel documentaire visuel : folklorique, antique, chrétien.
  • 27« Il Pasticciaccio di Gadda », Vie nuove, no 3, 18 janvier 1958, repris dans Passione e ideologia. Pasolini réutilise cette phrase, en se l’appliquant à lui-même, dans un texte sur Ragazzi di vita, paru dans Città aperta, no 7-8 (avril-mai 1958).
  • 28Archives Del Fra-Mangini.
  • 29Pier Paolo Pasolini, « La Lumière du Caravage », trad. Hervé Joubert-Laurencin, Trafic, no 73 (printemps 2010), 129-131. Pour compléter le rapport entre Mangini et Pasolini, ajoutons qu’après La Rage, Pasolini réalise entre mars et novembre 1963 une enquête sur la sexualité des Italiens, Comizi d’amore. Vingt ans plus tard, Cecilia Mangini et Lino Del Fra revoient le film, et décident de réaliser Comizi d’amore 80’, qui sera diffusé en trois épisodes sur RAI 3. L’on pourrait aussi ajouter un projet de documentaire intitulé Accalappiacani (« employés de la fourrière », litt. : « attrape-chiens »), dont Cecilia Mangini ne sait plus s’il était d’elle, de Lino ou de tous deux, et qui se termine par les mots : « Le commentaire du documentaire devrait être confié à Pier Paolo Pasolini. » (Archives Del Fra-Mangini.) Notons que, sur de nombreux projets et réalisations, le travail de Cecilia Mangini a été très étroitement lié à celui de Lino Del Fra – et vice versa – depuis la naissance des idées jusqu’à leur mise en forme audiovisuelle. Enfin, pour un ultime rapprochement ici entre Mangini-Del Fra et Pasolini : l’un des titres prévus pour le film Gramsci, i giorni del carcere – écrit par Mangini et Del Fra et réalisé en 1977 par ce dernier – était Il sogno di una cosa, titre du premier roman de Pasolini, écrit en 1949-1950 et publié en 1962.

Ce texte a paru dans Trafic, no. 89, printemps 2014.

Un grand merci à Anne-Violaine Houcke

 

Image (1) de Ignoti alla città [Unknown to the City] (1958)

Image (2) de Stendalì: suonano ancora [Here They Play Again] (1960)

Image (3), (4) et (5) de La canta delle marane [The Marshes’ Chant] (1961)

 

Milestones: Cecilia Mangini aura lieu le jeudi 10 novembre 2022 à 20h30 au Beursschouwburg, Bruxelles. Plus d’informations au sujet de la projection ici.

ARTICLE
02.11.2022
FR
In Passage, Sabzian invites film critics, authors, filmmakers and spectators to send a text or fragment on cinema that left a lasting impression.
Pour Passage, Sabzian demande à des critiques de cinéma, auteurs, cinéastes et spectateurs un texte ou un fragment qui les a marqués.
In Passage vraagt Sabzian filmcritici, auteurs, filmmakers en toeschouwers naar een tekst of een fragment dat ooit een blijvende indruk op hen achterliet.
The Prisma section is a series of short reflections on cinema. A Prisma always has the same length – exactly 2000 characters – and is accompanied by one image. It is a short-distance exercise, a miniature text in which one detail or element is refracted into the spectrum of a larger idea or observation.
La rubrique Prisma est une série de courtes réflexions sur le cinéma. Tous les Prisma ont la même longueur – exactement 2000 caractères – et sont accompagnés d'une seule image. Exercices à courte distance, les Prisma consistent en un texte miniature dans lequel un détail ou élément se détache du spectre d'une penséée ou observation plus large.
De Prisma-rubriek is een reeks korte reflecties over cinema. Een Prisma heeft altijd dezelfde lengte – precies 2000 tekens – en wordt begeleid door één beeld. Een Prisma is een oefening op de korte afstand, een miniatuurtekst waarin één detail of element in het spectrum van een grotere gedachte of observatie breekt.
Jacques Tati once said, “I want the film to start the moment you leave the cinema.” A film fixes itself in your movements and your way of looking at things. After a Chaplin film, you catch yourself doing clumsy jumps, after a Rohmer it’s always summer, and the ghost of Akerman undeniably haunts the kitchen. In this feature, a Sabzian editor takes a film outside and discovers cross-connections between cinema and life.
Jacques Tati once said, “I want the film to start the moment you leave the cinema.” A film fixes itself in your movements and your way of looking at things. After a Chaplin film, you catch yourself doing clumsy jumps, after a Rohmer it’s always summer, and the ghost of Akerman undeniably haunts the kitchen. In this feature, a Sabzian editor takes a film outside and discovers cross-connections between cinema and life.
Jacques Tati zei ooit: “Ik wil dat de film begint op het moment dat je de cinemazaal verlaat.” Een film zet zich vast in je bewegingen en je manier van kijken. Na een film van Chaplin betrap je jezelf op klungelige sprongen, na een Rohmer is het altijd zomer en de geest van Chantal Akerman waart onomstotelijk rond in de keuken. In deze rubriek neemt een Sabzian-redactielid een film mee naar buiten en ontwaart kruisverbindingen tussen cinema en leven.