Trop tôt/Trop tard

← Part of the Collection: Danièle Huillet & Jean-Marie Straub
Trop tôt/Trop tard

Two parts: one filmed in France, the other in Egypt; and two texts: a letter from Friedrich Engels to Karl Kautsky (20 February 1889) and Mahmoud Hussein's afterword in Luttes de classes en Égypte (1969). There is the difference in light and human presence, the difference in accent of the speakers, and the persistence of one question: that of the limit of what is bearable, and of revolution.

EN

“Q:   Engels writes that it was really the poor whose struggles brought about the victory of the bourgeois revolution, that the bourgeoisie turned it to their advantage and that their concepts 'Liberty, Equality and Fraternity' were in some sense empty concepts so far as everyone else was concerned.  

DH:    [...] We had read the second text earlier. When we were shooting in Egypt. That was the winter of '71.  

JMS:   It was while we were working on the Brecht History Lessons and had already done a bit of preparatory work for Moses and Aaron. We were in Egypt for the first time, going right down South, by bike.  

[...]  

DH:   And then this book, which a woman friend from Paris...  

[...]  

Q:   That was Luttes sociales en Egypte?  

JMS:    Yes, but it was the Italian version, we obtained the French original later.  

Q:   How did two such parts come together, with two such different texts, to read them?  

JMS:   At first we had no notion of making a single film from them. That took time. We read the Egyptian text without thinking of a film.  

DH:   Just for information about the country.  

JMS:   Then we got the idea of the French part as a film on the Engels letter. Then we went to Egypt again, with Berta, to get the two shots for Moses and Aaron, secretly. We thought some more about Egypt there and reread the book, and gradually, I'm not sure when, the idea of a film emerged. And that there might be a connection, a unity there, occurred to us, I'm not sure, rather late.”

Hans Hurch1

  • 1Hans Hurch, "Danièle Huillet and Jean-Marie Straub interview with Hans Hurch", Berlin, November 10, 1981. Originally published in German in Falter - Wiener Programmzeitschrift, Nº1, 1982. Translated to English by Ben Brewster, and published as "Too Early, Too Late: Interview with Huillet and Straub", Kino Slang, August 22, 2014.

FR

“Avec ce film simple comme une vue Lumière, précis comme une page de Salluste et dialectique comme un poème de Brecht, Straub-Huillet ont trouvé finalement une réponse à la question que s'est posée un jour André Bazin : "Pourquoi le ciel se met-il tout seul à l'unisson de l'événement plus sûrement que la plus subtile ambiance de studio ? En un mot, comme en cent, pourquoi le hasard et la réalité ont-ils plus de talent que tous les cinéastes du monde ?" Les paysans français du XIXe siècle se lient aux ouvriers égyptiens du XXe, la lumière dorée du Nil aux nuages bretons, la lutte d'hier au combat d'aujourd'hui.”

Federico Rossin1

 

“Trop tôt, trop tard ne comporte presque que des panoramiques circulaires.

Le film commence par un inoubliable très long plan, filmé depuis une voiture qui fait une dizaine de fois le tour de la place de la Bastille à Paris, sans commentaire, sans musique autre que celle des automobiles.

Après vient le commentaire, mais minimal et abstrait à force de précision concrète ; une suite de plans très longs aussi, presque tous panoramiqués, en Bretagne, en Normandie, dans le Douaisis, en Haute-Loire, dans la vallée du Nil, au Caire, à Paris, à Lyon.

Dix fois, vingt fois, la caméra tourne, pas vite, autour de son axe. Elle trace un horizon circulaire autour de moi, inversant exactement la figure initiale par laquelle c'était moi qui encerclais la statue dorée en haut de sa colonne – forcément en mémoire de la masse puissante qui, en quatre-vingt neuf avait fait des murailles de la Bastille son Jéricho." [...]”

Jacques Aumont2

 

“Serge Daney a bien mis en lumière cette dialectique temporelle dans Trop tôt/Trop tard. Les défaites des opprimés et de leurs révoltes sont inscrites dans une logique du retard et de l’anticipation qui "sauve" ce qui est banni de l’actualité historique, tout en renvoyant au delà de l’ordre actuel et de la loi du présent : "Les paysans se révoltent trop tôt et arrivent trop tard quand il s’agit du pouvoir. Ce battement obsessionnel est le “contenu” du film. Tel un motif musical, il est donné tout au début : “que les bourgeois ici comme toujours furent trop lâches pour soutenir leurs propres intérêts/que dès la Bastille la plèbe dut faire tout le travail” (Engels)”. La "paysannerie" est donc la figure de tout ce qui échappe, dans l’histoire, à la présentification de l’ordre établi et du retour éternel de l’oppression. C’est tout le sens d’une remarque de Deleuze à propos des films des Straub : "Il y a quelque chose de paysan dans l’histoire". Ce que l’histoire contient de plus décisif est ce qui échappe au présent immédiat – un événement qui s’enracine dans les strates enfouies du non-actualisé :

L’histoire est inséparable de la terre, la lutte de classes est sous terre, et si l’on veut saisir un événement, il ne faut pas le montrer, il ne faut pas passer le long de l’événement, mais s’y enfoncer, passer par toutes les couches géologiques qui en sont l’histoire intérieure (et pas seulement un passé plus ou moins lointain) (…). Saisir un événement, c’est le rattacher aux couches muettes de la terre qui en constituent la véritable continuité, ou qui l’inscrivent dans la lutte des classes.”

Andrea Cabazzini3

  • 1Federico Rossin sur Tënk.
  • 2Jacques Aumont, Danièle Huillet : conversations en archipel, p. 71.
  • 3Andrea Cabazzini, "'Des choses très anciennes mais oubliées'. Notes sur Jean-marie Straub et Danièle Huillet", Cahiers du GRM, 8, 2015.
FILM PAGE
UPDATED ON 10.01.2024
IMDB: tt0083230