Fantômas I
Le respect de la mort s’en va chez les spécialistes.
Fantômas, poète édité à frais d’auteur,
Est un Centaure qui s’ennuie
De ne pouvoir descendre de cheval.
Il ne suffit pas de sourire
Pour ne pas être condamné,
Et si parfois les nuages se trompent de neige,
La neige, elle, se trompe d’ennemis.
Tout le surréalisme est au service de Fantômas.
C’est le seul être au monde avec qui
J’aurais aimé me faire photographier à la foire.
Vraie patrie de l’enfant qui s’éveille,
Il est le plus court chemin de la vie dangereuse
A la dernière grimace du supplicié.
Tous les soirs il s’habille pour mourir
Mais un orchestre entier ne peut périr d’un seul coup.
Fantômas luit sur mon enfance
Comme un éclairage sans pitié
Pour mes rides d’enfant.
Il lui suffit de paraître et Sitting Bull,
Nick Carter, Nat Pinkerton, Morgan le Pirate,
Buffalo Bill et Lord Lister furent effacés,
Taches légères dissoutes dans l’éther.
Seuls nous donnaient le vertige,
La fenêtre ouverte sur Fantômas
Et les dessins de Benjamin Rabier,
Qui peint la nature comme elle devrait être.
Fantômas m’apprit à mentir sans besoin
Et à dire que 2 + 2 = 5
Alors que je savais très bien
Que 2 + 2 = 3.
Par ses soins, dans mes veines gelées,
Le sacrilège célébrait l’office du froid.
Il m’apprit la haute leçon de morale,
Du poivre jeté dans les veux d’un ennemi.
Il m’apprit à me rendre méconnaissable
Aux yeux mêmes de mon propre miroir,
Et à me méfier de cette femme ridicule
Qu’on me présenterait dans le monde : Madame Fantômas.
Quand j’étais sage, il me donnait une image
Que je mettais dans ma tirelire.
Je ne l’ai ouverte qu’aujourd’hui.
Aujourd’hui Fantômas n’est plus qu’un orage qui s’éloigne
Ses yeux sont fermés pour cause de décès.
Criminel dissimulé dans sa propre ombre,
Fantômas est mort avant d’avoir pu être rejoint.
Néanmoins
Son vieil ennemi le policier Juve veillait.
Soigneusement grimé, il s’était fait la tête
De l’Eternité ; ce n’était pas trop pour vaincre
Enfin l’Inconnaissable, l’Insaisissable,
Le Roi de l’Epouvante, la Silhouette du Crime.
Fantômas revint un jour dans le boudoir
Où se brûlant les mains, il déroba
Le diadème de Sonia Daniderff.
Juve depuis trente ans l’y attendait.
Ses cheveux avaient à peine blanchi.
Seules les tempes grisonnaient.
Minute solennelle : le Temps Perdu
Rencontrait enfin le Roi du Crime.
Arrêtez-le, cria Fantômas, je suis Juve
C’est lui Fantômas, et Juve-Fantômas
Fut arrêté, emprisonné, jugé, exécuté.
Pendant que Fantômas-Juve ricanait
Et disparaissait une fois de plus dans les Ténèbres.
Fatigué des hommes que le sommeil aveugle,
Fantômas s’en prit aux astres, aux fleurs, à la nuit.
Il brouilla tout dans le Ciel, offrit la Croix du Sud
A la Reine des Poisons qui s’en fit un cerf-volant.
Il était à l’aise dans l’azur,
Car Fantômas placé sur un nuage
Subit une poussée de bas en haut
Égale au volume de soleil déplacé.
La Mer du Nord pour échapper à sa poursuite
Dut se déguiser en brouillard.
Elle se fit passer pour la Tamise,
Et Fantômas se trompa de Londres.
Pour avoir osé lui mentir sur les marées,
Le soleil périt sur un bûcher.
Les étoiles privées de dessert,
Ne purent communiquer que par signes.
La cime du grand canyon du Colorado,
Invitée à une surprise-party
Ne retrouva plus sa tête au vestiaire.
Il eut tort de croire une toile d’araignée,
Et mourut noyé dans le Ciel.
Fantômas, monde perdu dans l’espace,
Baiser de forçat, mystère du diamant,
Ventre sournois des violes,
Capitale de la fausse barbe,
Pavé poussé entre les herbes,
Cuivre blanc des carrousels salons,
Chapeau haut-de-forme braqué sur l’infini,
Image perpendiculaire à notre jeunesse,
Parricide mort au champ d’honneur,
Fantômas qui êtes aux Cieux
Sauvez la Poésie.
Fragment du 'Fantômas 33' (1933). Ce texte a été publié dans Œuvres poétiques (Bruxelles : André de Rache Éditions, 1970).
Un grand merci à Gerald Purnelle et ULiège.
Ce texte est publié à l'occasion de Seuls : Short Work 2’, ce soir à 19h30 sur Avila. Plus d’informations au sujet de la projection ici.