Bio-filmographie de Chantal Akerman
De 1996 à 2015
1996
Un divan à New York (long-métrage)
« New York a énormément changé. Ça tout le monde le sait, le dit et c’est vrai. Quand je l’ai connue en 71, c’était une ville presque délabrée. C’était sa beauté. C’est ce délabrement que j’ai tant aimé. Et ces lignes. La ville était en faillite. Dangereuse, tout le monde le disait. Mais je n’avais pas peur. Au contraire. J’étais exaltée. [...] Je comprends les gens qui disent que c’est leur dernier film. Puis quelques années plus tard, ils en font un autre. On leur dit... vous aviez dit que… Oui, je l’avais dit. Moi, je n’ai rien dit. Mais je l’ai pensé très fort après Un divan, ça avait été trop dur... Ce n’était pas pour ça que j’avais voulu faire du cinéma après avoir vu Pierrot le fou. Là, j’étais carrément entrée dans le monde. Le monde des adultes qui se prennent pour des adultes. J'avais quitté le mineur dont parle Deleuze. Et j’étais tombée dans le bruit. Oui, avec Un divan, j’avais arrêté de ressasser ce rien dont parle ma mère quand elle dit, il n’y a rien à ajouter. » (Chantal Akerman : autoportrait en cinéaste, Paris : Éditions du Centre Georges Pompidou/Éditions Cahiers du cinéma, 2004)
Le scénario du film est publié simultanément aux éditions de l’Arche. L’accueil critique est contrasté et le film est un échec public.
« Le Divan, c’était tellement lourd… Quand j’ai eu envie de faire des films, au départ, je voulais m’exprimer, je ne voulais pas mener une guerre. Dans l’écriture, on peut rester proche de soi. »
Akerman crée la société de production Chemah I.S., qui coproduira notamment Sud, De l’autre côté, Là-bas, À l’Est avec Sonia Wieder-Atherton et No Home Movie.
Chantal Akerman par Chantal Akerman (documentaire)
Autoportrait, co-écrit avec Janine Bazin et André S. Labarthe, un film de commande pour l’émission Cinéma, de notre temps – ce fut, selon Claire Atherton, « réconciliation avec son cinéma ».
« Lors du synopsis du film Chantal Akerman par Chantal Akerman, j’écrivais que « si c’était quelqu’un d’autre qui réalisait ce film, il pourrait faire « comme si » plus facilement. Comme si les paroles du cinéaste étaient vérité sur son travail, comme si elles ouvraient vraiment une brèche sur l’origine de son désir de faire, et puis de continuer à faire. Comme si lui, le metteur en scène, son visage, son sourire, ses silences et son corps en diraient plus long sur son travail et que c’était toujours une tentation que d’aller chercher la parole de l’auteur ; que d’essayer à travers lui d’en savoir plus et qu’enfin, il se dévoile, si voile, il y a. »
J’écrivais que « faire quelque chose sur soi, sur son propre travail, pose de multiples questions, des questions troublantes. (...) La question du je et du documentaire, de la fiction, du temps et de la vérité et donc trop de questions, et bien sûr que je n’arriverais jamais à y répondre dans ce film-là. » Ni dans ce livre.
Et pourquoi pas ? Parce que. Parce que moi-même je ne comprends pas, pas tout. Et que sans doute si je comprenais tout, je ne ferais plus rien. » (Chantal Akerman : autoportrait en cinéaste, Paris : Éditions du Centre Georges Pompidou/Éditions Cahiers du cinéma, 2004)
1997
Le jour où (court-métrage)
« Le jour où j'ai décidé de penser à l'avenir du cinéma, je me suis dit que je ne le verrais pas. Je me suis demandé si l’avenir, c’était toujours devant soi. Alors j’ai regardé devant moi, puis je me suis retournée. Je me suis demandé si les gens qui marchaient la tête penchée avaient le sens de l’avenir, ou si c’était seulement les gens qui marchaient fièrement, et la tête droite. Je me suis dit que pour moi, l’avenir était derrière moi, parce qu’on ne dit plus de quelqu’un de mon âge qu’il a un bel avenir devant lui. Le jour où j'ai décidé de penser à l’avenir du cinéma, je me suis donc levée du mauvais pied. Quand on se lève du mauvais pied, on ne peut pas penser, et certainement pas, à l’avenir du cinéma. » (Voix off de Chantal Akerman extraite de Le jour où, court-métrage faisant partie d’un film collectif sur l’avenir du cinéma, réalisé à l’occasion du 50e anniversaire du Festival de Locarno en 1997. Dans un entretien avec Nicole Brenez en 2011, Akerman décrit le film comme suit : « Au fond, c’est un hommage à Godard. »
Elle commence à enseigner au Carpenter Center for the Visual Arts à Harvard.
1998
Une famille à Bruxelles (livre)
Première publication aux éditions de l’Arche ; un texte fictif, en flux, englobant de multiples subjectivités et truffé de références autobiographiques.
« Chacun a sa vie. Surtout quand on est loin. Et même quand on est près mais quand on est près ça se sent au téléphone et on peut se dire à bientôt et parfois bientôt on se voit. On dit aussi à bientôt à ceux qui sont loin au téléphone mais on sait qu’on ne se verra pas bientôt et parfois ceux qui sont loin on ne les appelle pas ou presque jamais même quand c’est de la famille proche. » (Chantal Akerman)
Self Portrait / Autobiography: A Work In Progress (installation)
Présentation de l’installation au Carpenter Center à Harvard, puis à la Sean Kelly Gallery à New York et la Frith Street Gallery à Londres.
Premières prises de vue pour Sud avec Raymond Fromont (ingénieur du son et assistant réalisateur), réalisées avec une caméra Sony MiniDV, en Louisiane, en Géorgie et au Texas. Un premier montage sera présenté à Paris à l’automne.
Début du travail d’écriture avec Eric de Kuyper pour le scénario de La captive.
« On a décidé qu’il y aura Proust, à la base du film. Puis on s’est hâté de dire oublions Proust. Et pensons au film. » (Eric de Kuyper, Trafic 35, automne 2000)
« Je pense que le cinéma souffre souvent de trop de scénarios, ou de pas comme il faudrait. Et c’est pour ça que souvent, j’essaie d’écrire des scénarios qui sont aussi des écrits pour que j’ai ce plaisir-là déjà. Eric de Kuyper m’a dit, je ne m’en rends absolument pas compte : « ce qui est fou, c’est que tu as fait le film contre le script. Je ne comprends pas pourquoi. » » (Chantal Akerman, émission de radio, 27 septembre 2000)
1999
Sud (documentaire)
Présenté au festival de Cannes à la Quinzaine des réalisateurs ; il s’agit du premier documentaire jamais projeté à la Quinzaine.
« Sud a été tourné dans le sud des États-Unis. Chantal y est partie, attirée par Baldwin et Faulkner. La force de Sud, c’est la dialectique du présent et du passé. Le film commence tout doucement, presque paisiblement. On parle du présent, tout a l’air d’aller mieux qu’avant. Et petit à petit, dans ce paysage silencieux, on commence à sentir une angoisse. Le son strident des insectes devient menaçant, les arbres aussi. On entend parler de l’esclavage et des lynchages. La tension est de plus en plus forte, et on commence à mettre en question ce qu’on a vu au début.
Pendant le montage du film, on écoutait souvent Strange Fruit de Billie Holiday. On se disait même qu’on allait mettre la chanson dans le film. Finalement on ne l’a pas fait. On n’a même pas essayé. Mais on a mis les arbres. Un arbre, deux arbres, trois arbres... Quand on regarde ces arbres dans le film, on ne peut pas s’empêcher de penser aux pendaisons. Et puis, le plan où on voit les prisonniers qui travaillent dans un champ de coton évoque la mémoire de l’esclavage. C’est ce qui m’a guidée dans la construction de Sud, cette attention si forte de Chantal au présent. Le passé, on ne le voit pas, on ne le décrit pas mais il est amené par le présent. » (Claire Atherton, « L’art du montage », Sabzian, 12 décembre 2020)
Une famille à Bruxelles (lecture)
Récit lu par Chantal Akerman et Aurore Clément, dans une mise en scène d’Eric de Kuyper. Presenté à Avignon.
2000
La captive (long-métrage)
Présentation au festival de Cannes à la Quinzaine des réalisateurs.
« Je sais que la modernité ou pas la modernité est une vraie question. Mais ce n’est pas une chose à laquelle je pense quand je fais un film. Dans les années 70 quand je commençais à faire des films dont certains étaient dits expérimentaux, il y avait dans ma tête la notion d’avant-garde et qu’il fallait toujours avancer. C’est quelque chose à quoi je ne pense plus du tout. [...] [Le personnage de Simon] est à la fois obsessionnel et romantique. Il a cette idée que quand on aime quelqu’un, avec l’autre il faut faire un. Et elle lui dit : « On ne fera jamais un. On fera toujours deux. » Je ne sais pas de quand ça date comme notion. Je pense que tous les gosses qui ont quinze, seize et dix-sept ans pensent encore que quand ils rencontreront la personne de leur vie ils feront qu’un. Après on sait bien, même si on rêve de ça, que c’est faux. [...] Quand j’ai fini d’écrire le scénario, je me suis dit que je ne comprends pas le scénario. Et je me suis dit que je comprends mieux le scénario quand le film sera fini. Et puis je n’ai pas pu comprendre quand le film a été fini. Et je me suis dit : c’est ça la force du film, cette opacité-là qui pose question à tout le monde, qui introduit à la fois un trouble et une résistance[.] » (Chantal Akerman en conversation avec Dominique Païni)
Lecture d’Une famille à Bruxelles, présentée au Kunstenfestivaldesarts à Bruxelles, mise en scène par Eric de Kuyper.
2001
Woman Sitting After Killing (installation), conception et montage avec Claire Atherton
Installation à partir du dernier plan de Jeanne Dielman, présentée à la Biennale de Venise.
Chantal Akerman enseigne à l’European Graduate School à Saas-Fee, en Suisse.
Le tournage de De l’autre côté à Mexique et aux Etats-Unis, accompagné entre autres par l’artiste et cinéaste Robert Fenz.
Elle travaille sur quelques projets qui ne seront finalement pas réalisés : une adaptation de Chéri et de La fin de Chéri de Colette avec Eric de Kuyper, et une adaptation de The Price of Salt de Patricia Highsmith.
2002
De l’autre côté (documentaire)
Présenté à Cannes hors compétition.
Akerman écrit une lettre à son producteur Thierry Garrel après le rejet de son projet proposé Du moyen-orient. Dans la phase de pré-production, elle lui écrit une lettre pour défendre son nouveau film De l'autre côté. Elle écrit : « [ça] pourrait presque servir pour tous mes documentaires. Pour défendre la cause du documentaire à tout jamais. Jamais est un bien grand mot, mais là tout d’un coup, il me plaît. »
« Vous m’avez demandé de préciser ma pensée. Vous aimeriez savoir par quel bout je vais pouvoir prendre ce sujet. Moi aussi, je me sentirais mieux, plus tranquille, et aussi sans doute moins intéressée par le projet. Parce que ce qui me fascine et m’effraie à la fois, quand je me mets en tête de faire un documentaire, c’est bien de le découvrir ce documentaire, de le découvrir en le faisant. Et préciser ma pensée serait, je crois, aller à l’encontre même du projet documentaire, et me fait donc un peu peur. Parce que, en le faisant, je me laisse conduire, je dirais presque à l’aveuglette, et je deviens une sorte “d’éponge-plaque sensible” qui aurait une écoute flottante et d’où surnagerait ou se révèlerait au bout d’un long moment, le film. » (Chantal Akerman : autoportrait en cinéaste, Paris: Éditions du Centre Georges Pompidou/Éditions Cahiers du Cinéma, 2004)
« La politique la plus efficace n’est pas celle des caméras portées qui veulent coller au corps des clandestins courant dans la nuit vers les camionnettes où ils seront entassés. C’est celle qui s’installe au ras du mur, le jour quand les voitures passent indifférentes, le soir quand les enfants jouent au base-ball, la nuit quand les projecteurs composent un ballet fantastique ; celle qui confronte son silence aux paroles de ceux qui, d’un côté, décrivent leur voyage entêté à la quête d’une « forme de vie meilleure », de l’autre, argumentent leurs problèmes de densité et d’environnement. De l’autre côté construit l’espace d’une modification des rapports entre ce qui parle et ce qui se tait. Cette modification pourrait définir le programme d’un art minoritaire. C’est aussi une assez bonne définition de la politique. »
(Jacques Rancière, « Un cinéma des minorités ? », Cahiers du Cinéma 605, octobre 2005)
From the Other Side (installation)
Présentée à la Documenta 11 à Kassel.
« J’aimerais aussi vous parler de l’installation From the Other Side car elle est née d’un désir très précis. Chantal voulait mettre un écran dans le désert, à la frontière entre le Mexique et les États-Unis, y projeter une partie de son film De l’autre côté tourné dans cette zone frontalière, et filmer la projection de cet extrait dans son espace authentique, le désert. Elle voulait que cette image soit retransmise en direct à la Documenta 11 (2002) de Kassel, où l’installation serait montrée. Cette vision a été le point de départ de notre travail. Très vite, on a pensé que l’image de l’écran géant refilmé pourrait être l’aboutissement du trajet du spectateur. Elle serait donc projetée dans la dernière salle. Et on a imaginé que l’extrait du film projeté dans le désert serait diffusé en même temps sur un écran plasma, au début de l’installation, dans une première salle. La troisième salle ferait donc écho à la première. [...] L’écran géant était tendu en plein air, entre deux montagnes, l’une mexicaine et l’autre américaine. Le matin, à Kassel on voyait à peine les deux montagnes sur l’image retransmise car il faisait nuit au Mexique, par contre on voyait très bien l’image du film projetée sur l’écran géant. Puis au fur et à mesure que la journée passait à Kassel, le jour se levait au Mexique, les montagnes apparaissaient et l’image sur l’écran s’estompait. On entendait toujours la voix de Chantal qui se mêlait au vent. Par la suite on a monté une version réduite de cette projection dans le désert, qui passe progressivement de la nuit au jour. » (Claire Atherton, « L’espace des installations », Entretien avec François Bovier et Serge Margel, Décadrages, 2022)
2003
Début de la collaboration avec la galerie Marian Goodman à New York.
From the Other Side: Fragment (installation)
Presentée au Witte de With, Center for Contemporary Art de Rotterdam.
Avec Sonia Wieder-Atherton (vidéo/installation)
« Encore Sonia ». Projeté à Noisiel, dans le cadre du festival Temps d’images.
« On dit d’elle, de Sonia Wieder-Atherton, qu’elle est née à San Francisco, qu’elle a grandi à New-York, puis à Paris, c’est vrai. Que si elle a choisi le violoncelle, c’est parce qu'elle voulait jouer d’un instrument à cordes dont elle pouvait faire durer le son autant qu’elle le voulait. C’est vrai. [...] Et qu’elle nous empoigne, nous emmène avec elle, si loin et si fort dans des zones encore inconnues, parfois sombres, parfois légères, anciennes ou nouvelles, dans un mélange de plaisir et de tension. On dit d’elle encore qu’elle a un parcours atypique, avec un répertoire atypique, on dit ça d’elle. Mais elle, elle cherche, elle cherche encore et toujours, elle avance, elle bouge, elle n’en finit pas de chercher, elle cherche la brèche. Le son, le souffle. Le souffle des origines. C’est vrai. » (Chantal Akerman, « Avec Sonia Wieder-Atherton », dossier de presse du film, 2003.)
Une voix dans le désert (installation)
Présentation à la galerie Marian Goodman à Paris.
« Il n’y a vraiment rien à dire sur elle. Chaque jour, elle partait et elle revenait à peu près à la même heure. Elle ne sortait presque plus. Sauf le dimanche, elle devait aller à la plage, je crois. Parce que le dimanche il y avait toujours un peu de sable dans les escaliers. Parfois, elle sortait fumer. Je n’aime pas quand les gens fument à l’intérieur. Elle se promenait dans le quartier, fumait et réfléchissait. À propos de quoi ? Ça, je ne peux pas vous le dire. (…) Je me demande si elle est au Mexique ou ailleurs. Parfois je me dis qu’elle est morte. Mais ce ne sont que des idées sombres à moi. Elle n’est pas morte. Elle est au Mexique ou ailleurs mais je ne peux pas dire où. Je ne l’ai plus jamais revue. Enfin, une fois, j’ai cru l’avoir fait… Mais je ne suis pas sûre que ce soit elle… ce n’était pas loin d’ici… au coin de la rue et du boulevard. Il y a beaucoup de Mexicains là-bas. J'étais dans la voiture et quand je suis arrivée, il n’y avait personne. Ça devait être une hallucination. » (Voix off dans De l’autre côté)
2004
Marcher à côté de ses lacets dans un frigidaire vide (installation)
Demain on déménage (long-métrage)
Co-écrit avec Eric de Kuyper ; projeté au festival de Berlin.
« Sylvie Testud, le personnage principal du film dit de moi que je suis un clown triste.
Je n’y avais jamais pensé, mais ce n’est peut-être pas faux. C’est ça l’envers, ou la fin. Avec Demain on déménage, j’ai essayé pourtant de rejoindre le début, le burlesque du début mais évidemment, je n’y suis pas tout à fait arrivée. C’est normal. On ne refait pas ses débuts. Pourtant, il y a quand même du burlesque dans ce film. Mais, il est peut-être moins visiblement joyeusement désespéré maintenant qu’alors. Dans Demain on déménage, Charlotte ne crie pas. Pas du tout. Elle laisse les événements arriver, sans se défendre. Sylvie, sans doute sans s’en rendre compte me ressemble, furtivement. » (Chantal Akerman, Chantal Akerman : autoportrait en cinéaste)
Autour de Jeanne Dielman (Sami Frey, 1975) (long-métrage)
Filmé en janvier 1975 pendant le tournage de Jeanne Dielman, en vidéo noir et blanc, monté par Chantal Akerman et Agnès Ravez.
Le frigidaire est vide. On peut le remplir (texte)
Long texte autobiographique dans Autoportrait en cinéaste.
Akerman est faite commandeur de l’ordre de Léopold, l’ordre le plus important du royaume de Belgique.
2005
Autour d’hier, aujourd’hui et demain (long-métrage)
Le making of de Demain on déménage, conçu par Akerman et monté par Claire Atherton à partir d’images filmées par Renaud Gonzalez au cours du tournage.
D’Est en musique (ciné-concert)
Accompagné musicalement par Sonia Wieder-Atherton au violoncelle et Laurent Cabasso au piano.
2006
Là-bas (documentaire)
Filmé avec Robert Fenz ; projeté au festival de Berlin.
« En fait, je ne voulais pas, ni ne ressentais la volonté de faire un film sur ou en Israël. [...] J’ai tout de suite eu l’impression que c’était une mauvaise idée. Donc une idée impossible même. Presque paralysante. Presque écœurante. [...] Ce qui a été déterminant, c’est qu’un jour, il y a eu un cadre et donc un plan. Un jour, j’ai pris la caméra en main et je me suis placée quelque part et là tout d’un coup, il y a eu un cadre, un plan. Et je me suis dit, ce cadre est formidable. Il n’y a plus qu’à attendre et à laisser les choses arriver. [...] Donc, je regardais par la fenêtre, fenêtre recouverte de stores en paille très fine, à lamelles très fines, avec de très fins interstices et donc, je voyais à travers, je voyais, on ne me voyait pas, enfin je crois. Et c’était comme une scène. » (Chantal Akerman, entretien avec Franck Nouchi)
Réalisation d’un coffret DVD des premiers films, conçu par les éditions Carlotta. Akerman réalise avec Atherton des entretiens avec Babette Mangolte et Aurore Clément et avec sa mère Natalia Akerman pour les bonus du DVD.
2007
Tombée de nuit sur Shanghaï (court-métrage)
Court-métrage faisant partie du film omnibus O Estado do Mundo [L'État du monde], qui comprend également des contributions de Ayisha Abraham (One Way), Wang Bing (Brutality Factory), Pedro Costa (Tarrafal), Vincente Ferraz (Germano), et Apichatpong Weerasethakul (Luminous People) ; projeté au Festival de Cannes.
Je tu il elle (installation)
La chambre (installation)
In the Mirror (installation)
Trois installations créées pour l’exposition Ellipsis au musée Tamayo de Mexico.
2008
Femmes d’Anvers en novembre (installation)
L’exposition Chantal Akerman : Moving Through Time voyage à travers les États-Unis tout au long de l’année en passant par Houston, Cambridge, Miami et Saint-Louis.
2009
À l’Est avec Sonia Wieder-Atherton (installation/vidéo)
Maniac Summer (installation)
Tombée de nuit sur Shanghaï (installation)
Chantal Akerman, de ça (moyen-métrage)
Interview vidéo, réalisé par Gustavo Beck et Leonardo Ferreira.
Grande rétrospective au Brésil.
2010
Le tournage de La folie Almayer a lieu à Phnom Penh et Koh Kong au Cambodge.
2011
Akerman commence à enseigner à New York au City College ; elle y travaillera jusqu’en 2014.
La folie Almayer (long-métrage)
Présenté hors compétition à la 68e Mostra de Venise.
« Une histoire tragique, comme les tragédies antiques qui ne vieillissent jamais. Une histoire vieille comme le monde. Une histoire jeune comme le monde. D’amour et de folie. De rêves impossibles. » (Synopsis du film, écrit par Akerman)
« La folie Almayer « travaille » beaucoup après la projection. Sur le moment il laisse un peu muet, puis les images reviennent hanter, je crois. Tout ça, parce que je n’essaie pas de dire quelque chose que je sais déjà. Je travaille à partir de mon inconscient, et ça parle à un autre inconscient, celui du spectateur. La captive faisait la même chose. Quand j’ai eu fini le scénario, je ne savais pas ce que le film racontait. Qu’est-ce que c’est, ce truc ? J’ai dit, ça ne fait rien, je verrai bien quand le film sera fini. Je comprendrai. Mais j’ai mis du temps. »
« C’est à peine une adaptation. Les livres de Conrad sont surtout des livres sur des hommes qui ont fait une faute et qui sont plus au moins dans la rédemption. C’est une notion chrétienne et masculine. Sur la loi. Et moi je n’ai fait ni un film chrétien, ni sur la loi, au contraire. C’est un film où j’ai essayé d’aller au-delà de la maîtrise. » (Entretien avec Philippe Piazzo, UniversCiné)
Rétrospective pour la Viennale, accompagné d’un catalogue qui comprend la désormais célèbre « The Pajama Interview » de Nicole Brenez.
2012
Maniac Shadows (installation)
My Mother Laughs Prelude (installation)
Too Far, Too Close (exposition)
Exposition au M HKA, le musée d’art contemporain d’Anvers.
Grande rétrospective organisée par le festival Doclisboa, accompagnée d’une exposition intitulée Passagens, qui comprend également deux installations de Pedro Costa.
2013
Ma mère rit (livre)
Publication par Mercure de France.
« J’ai écrit tout ça et maintenant je n’aime plus ce que j’ai écrit. C’était avant, avant l’épaule cassée, avant l’opération du cœur, avant l’embolie pulmonaire, avant que ma sœur ou mon beau-frère ne m’appelle pour lui dire au revoir (à tout jamais). Avant qu’elle ne revienne chez elle à Bruxelles pour toujours.
Avant qu’elle ne rit.
Avant que je comprenne que j’avais peut-être tout compris de travers.
Avant que je comprenne que je n’avais qu’une vision tronquée et imaginaire. Et que je n’étais capable que de ça. Ni de vérité ni à peine de ma vérité.
Maintenant ma mère vit et est en bonne santé. C’est ce que tout le monde dit et tout le monde dit aussi qu’elle est forte et personne ne comprend comment elle a survécu.
Elle a mal partout mais ses cheveux ont repoussé. C’est un miracle. » (Premières phrases du livre)
En 2013, la mère de la cinéaste Chantal Akerman tombe malade. Elle prend l’avion de New York à Bruxelles pour s’occuper d’elle, et pendant ce temps, elle écrit : elle écrit sur son enfance, sur l’évasion de sa mère d’Auschwitz dont elle ne parlait pas, sur la difficulté d’aimer son amie C., sur sa peur de ce qu’elle ferait à la mort de sa mère. Entre ces fragments révélateurs de sa vie, elle place des images de ses films.
Rétrospective complète à l’ICA de Londres, organisée par le collectif A Nos Amours (Adam Roberts et Joanna Hogg).
2014
Le 4 avril, sa mère Natalia Akerman est décédée.
De la mèr(e) au désert (installation)
2015
No Home Movie (long-métrage)
Présentation au Festival international du film de Locarno.
« J’ai longtemps eu le sentiment – ma mère a été internée dans les camps et n’en disait jamais un mot – que je devais parler à sa place, ce qui est fou parce qu’on ne peut pas parler pour quelqu’un d’autre. Donc j’étais obsédée par ça, par sa vie. J’étais aussi obsédée par la façon dont, lorsqu’elle quittait les camps, elle transformait sa maison en prison. C’est Jeanne Dielman. Maintenant, je peux le dire, mais je n’en avais pas conscience au moment de le faire, tu sais ? Alors, j’ai pensé que c’était moi qui devais faire, parce qu’elle ne voulait rien dire, que c’était moi qui allais témoigner à sa place. » (Chantal Akerman, interview par Daniel Kasman pour MUBI, 17 août 2015)
NOW (installation)
Conception et montage avec Claire Atherton, exposée à la Biennale de Venise.
I Don’t Belong Anywhere: The Cinema of Chantal Akerman (Marianne Lambert, 2015)
Réalisé pour la série « Cinéastes d’aujourd’hui » : un portrait de Chantal Akerman à travers son œuvre.
Le 5 octobre, Chantal Akerman se suicide. Elle est inhumée au Père-Lachaise à Paris.
Après sa mort, de nombreux hommages ont été rendus par des cinéastes, des critiques et des spectateurs du monde entier. Ci-dessous, un nombre limité :
« J’ai été marqué par nombre de ses films, ainsi que des installations incroyables qu’elle a faites pour des musées, mais par-dessus tout c’est la découverte de Jeanne Dielman qui m’a incommensurablement marqué quand j’étais étudiant en cinéma. Je le revois souvent depuis, chez moi, et je reste stupéfait des frontières qu’elle explose dans ce film, ce qu’elle y invente en termes de narration, de rapport au personnage. Quand j’ai fait des films comme Gerry, Elephant et Last Days, cela a constitué pour moi une influence plus qu’essentielle : il y avait pour moi Bela Tarr et Chantal Akerman. » (Gus Van Sant, Libération, 6 octobre 2015)
« J’ai rencontré Chantal Akerman à l’Anthology Film Archives, qui avait ouvert peu avant, en 1970. Elle devait avoir dans les 20 ans, et a passé plusieurs mois à New York à cette époque. Elle avait déjà réalisé un court métrage mais l’Anthology fut son université, son école de cinéma. [...] Je ne sais pas si je dirais que nous l’avons influencée, mais je crois que le cinéma qu’elle a découvert à ce moment-là, le mien et celui de tous les autres, l’a peut-être aidée à développer un intérêt qu’elle avait déjà pour la vie réelle et pour sa propre vie. Une variation de l'approche du journal filmé, qui l'a confortée dans ses propres idées – il est parfois rassurant de se rendre compte que d’autres font ce que vous avez en tête. [...] Elle avait une combativité, une manière très directe de faire les choses, n’avait aucun doute, et contrôlait parfaitement les idées, les matériaux qu’elle entendait utiliser, mais toujours de manière personnelle, très personnelle. Tout son travail est devenu de plus en plus personnel, avec les années, pour s’achever avec le film sur sa mère. On ne sait pas où elle serait allée ensuite, ce qui est tellement triste. Tout son travail serait comme un immense film épique dont on pourrait relier ensemble toutes les parties. » (Jonas Mekas, Libération, 6 octobre 2015)
« « Je suis née comme un vieux bébé en 1950 », a-t-elle déclaré. Naissance d’un enfant prodige, d’un vagabond, d’un émerveillant et d’un écrivain. Elle nous a apporté son regard aigu, sa voix incomparable, et nous a laissé son art et bien plus encore comme réconfort. » (Vivian Ostrovsky, Senses of Cinema, décembre 2015)
« Face à Chantal Akerman, j’ai compris qu’on peut être adulte et avoir encore envie d’apprendre, tout le temps, sans s’arrêter. Elle avait un aspect très juvénile, les yeux ouverts en permanence. Elle poussait les choses jusqu’au bout, elle avait l’amour de l’imperfection. Elle avait été maniaco-dépressive, et il y avait des moments troubles et d’autres très solaires. Quand elle était sombre, c’était de la mélancolie plus qu’autre chose. Elle avait la curiosité d’une adolescente, toujours prête à s’emballer pour quelque chose et puis à tomber dans des moments de doute. Je pense que Chantal Akerman ne se définissait pas comme une personne achevée, finie. Les adultes se donnent des rôles : médecin, avocat, réalisateur. Même ce dernier, elle ne voulait pas l’endosser totalement. Elle était si solaire, si présente que quand Chantal quittait une pièce, elle créait un manque. » (Sylvie Testud, Libération, 6 octobre 2015)
« Le cinéma était chez elle une forme de vie et de pensée, il y avait une nécessité et une évidence du travail esthétique – que l’on pense par exemple à Jeanne Dielman ou
à D’Est dont des séquences entières vous restent en mémoire. Il y avait dans tout son travail un maximum d’effets avec un minimum de moyens, une idée morale de la forme. À des années-lumière de certaines gesticulations actuelles. Sa fin lui appartient mais elle est depuis longtemps et restera de ces auteurs qui vous accompagnent. » (Cathérine David, Libération, 6 octobre 2015)
« Chaque film, chaque installation était comme une première fois. On n’avait pas de règles, pas de peurs, pas de barrières. On rentrait à chaque fois dans une nouvelle aventure, sensorielle et intellectuelle. Nos échanges étaient très simples. On disait peu de mots, comme si trop de mots risquaient d’abimer quelque chose. On disait souvent « c’est beau » ou « c’est fort ». On avait des mots qu’on aimait, elle disait il faut qu’on soit drastique, sans concessions. On disait aussi qu’on allait trancher dans le vif. Moi je lui disais parfois « il faut complexifier ». Elle aimait bien ce mot-là. Elle me disait : « Oui c’est ça, complexifie un peu ». Ça c’était quand on sentait qu’il y avait quelque chose de trop dit, de trop linéaire. Mais une fois le montage fini, il y avait une grande simplicité dans la construction du film. Complexifier ce n’était pas compliquer, c’était rajouter des poids et des contrepoids, travailler la tension. » (Claire Atherton, extrait d’un texte lu lors de la soirée en l’honneur de Chantal Akerman à la Cinémathèque française le 16 novembre 2015)
« Le cœur lourd, nous avons essayé de regrouper nos pensées. Notre point de vue est difficile à décrire ; en organisant le travail de Chantal, nous avons appris à la connaître personnellement. Et ce faisant, nous avons découvert que les films de Chantal et Chantal elle-même sont, à bien des égards, la même chose. Elle a évité toute catégorisation – en tant qu’artiste, en tant que cinéaste. Elle était tout simplement Chantal Akerman. » (Joanna Hogg and Adam Roberts, The Guardian, 8 octobre 2015)
« [La découverte de Jeanne Dielman] fut une de ces expériences qui changent votre manière de penser, de voir, de concevoir le cinéma. Cela a eu un impact profond sur la manière dont je peux concevoir l’idée de narration ou la façon de dépeindre la vie d’une femme à l’écran : cette expérimentation du film de se river à la routine de tâches domestiques d’une femme et cette caméra à la Ozu qui se confronte absolument à elle dans sa cuisine, tout cela a suscité en moi une émotion inimaginable. [...] Ce film exerce un pouvoir unique sur vous, par sa seule manière de se concentrer sur certaines choses et d’en exclure d’autres, son caractère politique, son éthique particulière. [...] Elle avait un langage cinématographique à elle seule, fait autant d’inventions formelles que d’humour. Je repense à la dernière fois que je l’ai vue à Paris, et cela me rend très triste. » (Todd Haynes, Libération, 6 octobre 2015)
Images (1) et (3) de Collections CINEMATEK - © Fondation Chantal Akerman
Image (2) de Le jour où (Chantal Akerman, 1997)
Images (4) et (6) de I Don’t Belong Anywhere: The Cinema of Chantal Akerman (Marianne Lambert, 2015)
Image (5) de No Home Movie (Chantal Akerman, 2015)
Un grand merci à la Fondation Chantal Akerman.
Les compilateurs de cette deuxième partie de la bio-filmographie de Chantal Akerman ont largement utilisé la « Chronologie » de Chantal Akerman. Œuvre écrite et parlée, édition établie par Cyril Béghin (Paris : Éditions L’Arachnéen, 2024).