Toute une nuit

Toute une nuit

In the night, a door suddenly opens.

A woman, her shoes in her hand, throws herself into the arms of a man.  

A phone rings, a man rushes in, out of breath.  

A slow dance crosses the feverish night.  

A teenage girl attracts a man against her.  

A woman, agitated, pushes a door, runs up the straits four at a time.  

A man grabs a woman, she resists him.  

Two men separate.  

A distraught woman throws herself into a cab.  

In a city, on a very hot, stormy summer night, men, women, children, caught up in desire, ready for anything, let themselves be carried away, sometimes to the point of vertigo, in the excess of their feelings.

Until dawn.  

Toute une nuit, fragments like pieces of intensity, almost all of which have to do with the quivering, the loving or sexual tension, always with feelings.

EN

“I still think a lot about her film Toute Une Nuit with Aurore Clément. I can still see all the backdrops, like that of Brussels train station at the end. The film represents a time in which filmmakers like her had a sort of autonomy to make their films which later became more difficult. The film was at once the story of Chantal and a film on a female cineaste. This film had everything in it for me.”

Claire Denis1

NL

“Beelden zijn ook reeds geschreven, antwoordde Akerman hem. Waarmee ze wilde zeggen dat je steeds de vorm van de dingen (van de beelden) moet terugvinden, dat de spontaneïteit, en vooral die spontaneïteit die kleeft rond de emoties (en alles wat men ‘leven’ noemt), steeds hergeformuleerd dient te worden. Ergens zegt ze ook ‘il faut mettre en scène la vie’, wat op een dubbele manier begrepen kan worden. Dat je je in de film niet moet laten beetnemen door de spontane registratie en reproduktie van de werkelijkheid. Dat je dus moet ensceneren, vormgeven. Maar ook: dat het leven zoals het is, niet bevredigend is, en dat je het moet proberen te hervormen, te herformuleren. Je moet het leven ensceneren; je moet het leven ensceneren.”

Eric de Kuyper1

FR

« Le courage, il en faut pour faire des films, mais il en faut pour tout. Même pour les choses les plus simples, les plus banales parfois. Surtout quand il fait gris. Quand il fait gris, ferme les rideaux, les tentures pour ne rien voir, allume les lumières artificielles. »

Chantal Akerman1

 

« La nuit est plus longue que le désir, la caméra est plus patiente que la nuit, la ville se réveille : Bruxelles va brusseler. »

Serge Daney2  

 

« Chantal Akerman filme les passions entre les êtres durant une nuit chaude et humide à Bruxelles. On y entend Aurore Clément chanter un air popularisé par Édith Piaf. Des signes, comme dans les chansons de Piaf, simples et éternels. Ils disent toujours ou jamais. Ils font rêver et soupirer et reprennent les moments forts de l’amour, l'incontournable des Love Story. [...] C’est beau et c’est triste comme tout ce qui appartient à ce registre, celui des stéréotypes du romanesque. »

Jacqueline Aubenas

 

« Je me souviens de Toute Une nuit (1982) avec Aurore Clément, c’est un film auquel je pense encore souvent et qui compte beaucoup pour moi. J’en vois encore tous les plans, comme la gare de Bruxelles à la fin. Le film incarne le moment où des cinéastes comme elle avaient une forme d’autonomie pour faire leurs films, ensuite c’est devenu plus difficile. C’était à la fois l’histoire de Chantal et un film sur une femme cinéaste, il y avait tout dans ce film pour moi. »

Claire Denis3

 

« Cette nuit très agitée, filmée à Bruxelles, est constituée d’une suite de moments, embryons fictionnels, fragments d’existence, morceaux de narration en forme d’haïkaï dramaturgiques, montés selon une savante conjugaison de la récurrence et de la perte, du reotour apparamment aléatoire des mêmes personnages ou de leur abandon définitif. À la banalité existentielle et sentimentale des anecdotes représentées, s’oppose un suspense formel résultant des décisions inattendues de la cinéaste de reprendre, de relancer et de prolonger la destinée de ses personnages. L’éclatement narratif s’apparente ici au rêve - congruent avec cette nuit blanche - et ne dispense pas d’une sensation de continuité paradoxale qui rappelle celle mystérieuse qui unifie le songe. Car les personnages paraissent évoluer dans le même sommeil, celui de la cinéaste ; mais malgré leur proximité géographique et filmique, ils sont dénués de toute opportunité explicite qui justifie qu’ils soient associés dans un récit unique. Amants qui s’attendent et s’impatientent, couples qui s’enlacent brutalement, dansent et se déchirent, se séparent ou fusionnent, chorgraphiqies stéréotypées d’étreintes, solitudes manifestement douloureuses et dragues dérisoires, corps qui s’aiment ou qui s’affrontent, toute cette agitation donne le prétexte à des séquences courtes, brefs « pas de deux » à la Pina Bausch, qui surgissent et s’évannouissent selon le principe de l’anamnèse. [...]

En revoyant Toute une nuit, vient à la mémoire l’intuition de l’instant bachelardienne: « Et comment ne pas voir ensuite que la vie c’est le discontinu des actes.. Si l’on regarde l’histoire de la vie dans son détail, on s’aperçoit que c’est une histoire comme les autres, pleine de redites, pleine d’anachronismes, pleine d’ébauches, d’échecs, de reprises... »

Le discontinu des actes dont parle Bachelard pourrait être ce qui fonde les continuités existentielles dans Toute une nuit. Mais c’est également ce qui pourrait renvoyer aussi au cinéma lui-même et parler sa dialectique toujours hypnotique : discontinuité des photogrammes et continuité fluide du mouvement. Comment ne pas supposer que Chantal Akerman n’ait pas pensé au cinéma pour concevoir un tel film dans lequel le décor de la ville devient une immense salle obscure dont l’écran des rues, des parcs et des vitrines, reçoit les ombres de la trajectoire des corps et les poses momentanées de ceux-ci, croisées comme par hasard au fil du dédale urbain. La forte sensibilité de la pellicule pour capter la lumière nocturne - et la pulvérulence épaisse de son grain - ajoute à cet effet de toile sur laquelle s’effacent à peine apparues, des figures humaines dont on ne connaîtra jamais la destinée. »

Dominique Païni4

  • 1Chantal Akerman, Autoportrait en cinéaste (Paris: Éditions du Centre Pompidou/Éditions Cahiers du cinéma, 2004), p. 153-154.
  • 2Serge Daney, Ciné journal: 1981-1982 (Paris: éd. Cahiers du Cinéma, 1998).
  • 3Les hommages endeuillés du monde de l'art et du cinéma à Chantal Akerman,” Libération, 6 octobre 2015.
  • 4Dominique Païni, « Tout une nuit, » dans Autoportrait en cinéaste (Paris: Éditions du Centre Pompidou/Éditions Cahiers du cinéma, 2004), p. 187.
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