Serge Daney et la promesse du cinéma

ARTICLE
Arta Barzanji, Gerard-Jan Claes, 2025
Un citoyen du monde

Introduction à ‘Serge Daney et la promesse du cinéma’

ARTICLE
Pierre Eugène, 2025
Virages
ARTICLE
Mónica Delgado, 2025
De la pratique de la critique
ARTICLE
Mohammad Reza Amiri , 2025
Un ciel mélancolique
ARTICLE
Emmanuel Burdeau, 2025
La carte et le chemin
ARTICLE
Christine Pichini, 2025
Une écoute active
ARTICLE
Jun Fujita Hirose, 2025
Le bleu et le rouge
ARTICLE
Daniel Fairfax, 2025
Le rêve fiévreux du cinéma filmé
ARTICLE
Serge Daney, 1992
Cinéma, vie et solitude

Serge Daney (1944–1992) reste l’un des critiques de cinéma les plus influents du XXe siècle. Ayant grandi à Paris, il développe très tôt une passion pour le cinéma. Son premier article paraît dans Visages du cinéma en 1962 et, dès 1964, il intègre l’équipe de rédaction des Cahiers du cinéma, dont il devient rédacteur en chef en 1973. En 1981, il rejoint Libération, élargissant son champ d’analyse à la télévision et à d’autres médias, et, dix ans plus tard, cofonde Trafic, revue pensée comme « un lieu où l’on prendrait le temps de “revoir” »,1 offrant un espace de réflexion au-delà du rythme de l’actualité.

À peine quelques mois avant sa mort, en réponse à une question de Régis Debray sur « les images qui vous ont regardé » lorsqu’il était enfant, Daney est catégorique : « [L]a première image qui a compté pour moi, et l’image presque définitive, ce n’est pas une image de cinéma, c’est l’atlas de géographie. » Pour Daney, les cartes du monde portaient la promesse de devenir « citoyen du monde » — une promesse qu’il estimait avoir largement réalisée à travers sa vie dans le cinéma, déclarant à Debray : « J’en ai vécu de cette carte du monde. »2

Tout au long de sa vie, Daney fut un voyageur acharné — à la fois du monde et du cinéma — trouvant une forme de consolation dans l’idée du voyageur « sans bagages, autosuffisant dans sa dépossession ». Voyager signifiait, pour lui, que « ça ne laisse pas de traces, pas d’images : être clandestin sur ce monde-ci ».3

Comme un pays qui « manquait encore » sur sa carte, le cinéma symbolisait une promesse d’universalité profondément ressentie. Daney rêvait que le cinéma puisse créer un espace imaginaire commun, une citoyenneté mondiale des spectateurs, où les images nous relient sans exiger que nous nous ressemblions, nous permettant de nous situer en rapport avec le monde : une manière de prendre sans posséder, d’appartenir sans adhérer.

L’année dernière, Daney aurait eu quatre-vingts ans. Nous avons saisi l’occasion de réfléchir à la résonance toujours vive de ses écrits et de ses idées, à travers un numéro réunissant des contributions de critiques, d’universitaires et de traducteurs venus du monde entier — un numéro qui nous rappelle la promesse de ce pays manquant qu’est le cinéma : un lieu imaginaire, mais néanmoins habité par « de vrais habitants qui parlent la même langue »4 .5 6

  • 1Présentation de la revue Trafic par Serge Daney au Jeu de Paume, Paris, le 5 mai 1992 (vidéo).
  • 2De l’entretien filmé Serge Daney : Itinéraire d’un ciné-fils, réalisé par Pierre-André Boutang et Dominique Rabourdin, 1992.
  • 3Serge Daney, Persévérance (P.O.L., 1994), p. 117.
  • 4Ibid, p. 95.
  • 5Droits réservés, archive Philippe Bonaud.
  • 6En parallèle à la publication de ce numéro, un programme de projections éponyme aura lieu à l’ICA à Londres.

Texts

Introduction à ‘Serge Daney et la promesse du cinéma’

Arta Barzanji, Gerard-Jan Claes, 2025
ARTICLE
25.06.2025
FR EN

À peine quelques mois avant sa mort, en réponse à une question de Régis Debray sur « les images qui vous ont regardé » lorsqu’il était enfant, Daney est catégorique : « [L]a première image qui a compté pour moi, et l’image presque définitive, ce n’est pas une image de cinéma, c’est l’atlas de géographie . » Enfant, il était en effet captivé par les cartes du monde, représentant un univers bien plus vaste que le milieu parisien borné d’après-guerre dans lequel il grandissait. Pour Daney, elles portaient la promesse de devenir « citoyen du monde » — une promesse qu’il estimait avoir largement réalisée à travers sa vie dans le cinéma, déclarant à Debray : « J’en ai vécu de cette carte du monde . »

Pierre Eugène, 2025
ARTICLE
25.06.2025
FR EN

Un critique œuvre caché – dans l’ombre (de la salle, des films) et la forêt (des revues) – et Serge Daney ne fait pas exception. Que sa trajectoire soit finalement devenue exemplaire, que sa figure soit entrée dans la lumière progressive de la reconnaissance publique a modifié aussi bien la lecture de ses textes que leur adresse, en déterminant le ton et le style. Une constante, néanmoins : la vitesse.

Mónica Delgado, 2025
ARTICLE
25.06.2025
FR EN

En tant que critique d’un temps désormais révolu, les textes de Daney nous ont situés dans le rôle du spectateur — qui est aussi, à la fois, celui du critique — un rôle qui existe sous deux formes : « sous forme de corps inerte parmi les autres et sous forme de regard vif parmi les plans ». Son amour des interstices justifiait l’existence de la critique, et c’est dans ce geste imaginatif de Daney que nous essayons de nous situer, réclamant le temps pour qu’un film mûrisse dans le corps, par la stupeur, le choc ou la tendresse, et invoquant une forme d’écriture critique prête à éclairer.

Mohammad Reza Amiri , 2025
ARTICLE
25.06.2025
FR EN

Daney s’oppose à toute image qui entrave ou perturbe ce passage, qu’il s’agisse du visuel, de la pornographie, de la télévision, de la publicité, du scénario, des dessins animés ou du maniérisme. Chacune empêche un passage « entre » deux éléments (champs et contre-champs, champs et hors-champs, deux états, deux images, deux corps, l’intérieur et l’extérieur des personnages, etc.). « La crise du cinéma, c’est la crise du “entre”. » 

Emmanuel Burdeau, 2025
ARTICLE
25.06.2025
FR EN

Le voyage n’est donc qu’à peine un thème. Daney, de toute façon, thématise peu. Sa pensée procède par leitmotivs, voire par des obsessions qui lui sont personnelles et ne craignent pas de le rester. Aussi ne doit-on pas s’étonner si, de tous les articles qu’il a publiés – autour de deux mille – un seul inclut le mot « voyage » dans son titre. Ni si, dans cet article, il est question de tout sauf de voyage.

Christine Pichini, 2025
ARTICLE
25.06.2025
FR EN

À quoi ressemble la voix de Daney ? Bien que je m’y sois plongée pendant des années, je n’ai jamais essayé de décrire la voix de Daney. La traduction se rapproche davantage d’une pratique d’écoute que de la description, ou de l’intellectualisation, et traduire La Maison cinéma et le monde a été une pratique consistant à traquer une pluralité de voix, à suivre la cadence confiante et saccadée de la pensée de Daney alors qu’elle brûle à travers toutes sortes de sujets et de formes avec une aisance presque incroyable.

Jun Fujita Hirose, 2025
ARTICLE
25.06.2025
FR EN

C’est en nous invitant à comparer Le grand blue et Palombella rossa que Serge Daney conclut ses années 80. [...] Dans la profondeur bessonienne s’isolent des individus aphasiques “auto-légitimés”, alors qu’à la surface morettienne se forme un peuple “malade du langage”. [...] Pour Daney, Palombella rossa est un grand film et Nanni Moretti le plus précieux des cinéastes.

Daniel Fairfax, 2025
ARTICLE
25.06.2025
FR EN

De toutes les épithètes caustiques déployées par Cahiers du cinéma au cours de ses nombreuses disputes critiques, peut-être la plus archétypale est celle apparue à la fin des années 70 : « cinéma filmé ». Une expression dont le sens peut être presque instinctivement deviné par le lecteur. De même que des films adaptés de pièces de théâtre de manière banale, sans prendre en compte les exigences esthétiques particulières au cinéma, sont étiquetés avec dédain comme « théâtre filmé », il existe aussi des films qui donnent cette même impression de recyclage et de manque d’originalité — mais à l’égard du cinéma lui-même.

Serge Daney, 1992
ARTICLE
25.06.2025
FR EN

Le principe de non-suffisance reste au cœur du cinéma, même à l’époque où les auteurs se drapent trop facilement dans l’autonomie du « Ça me suffit ». […] Cette solitude confère aux films une tonalité propre, une rage sourde ou une musique désolée. Jusqu’où un cinéaste peut-il aller dans la solitude sans perdre non seulement le public, mais le cinéma ?