Chantal Akerman

Traverser les terres du cinéma

13.03.2024
A COLLECTION OF 11 texts, 40 film pages, 2 events, 1 news item
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« [La façon] dont j’aimerais filmer […] répond à l’idée que la terre possédée implique toujours le sang et la barbarie, tandis que la terre traversée sans être accaparée fait penser à un livre. »    
- Chantal Akerman

Chantal Akerman (1950-2015) est une cinéaste, scénariste, productrice, artiste et écrivaine belge majeure dont la carrière s’étend sur quatre décennies. Akerman découvre le cinéma avec Pierrot le fou (1965) de Jean-Luc Godard, film qui l’incite à s’inscrire à l’INSAS, l’école de cinéma bruxelloise. Elle interrompt cependant ses études prématurément pour poursuivre sa propre approche du cinéma et débute en 1968 avec Saute ma ville, film dans lequel, alors âgée de 18 ans, elle s’enferme dans son appartement et exécute ses tâches ménagères de manière absurde, presque maniaque. Après avoir quitté l’INSAS, Akerman s’installe à New York, où elle rencontre le cinéma expérimental américain de Jonas Mekas, Michael Snow et Andy Warhol. Leur travail aura une influence stylistique majeure sur son travail cinématographique. À New York, elle réalise notamment La chambre (1972) et Hôtel Monterey (1973).

De retour en Belgique, Akerman réalise Je, tu, il, elle (1974), puis son film le plus célèbre, Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles (1975), classé meilleur film de tous les temps par le classement décennal Sight and Sound en 2022. Jeanne Dielman documente trois jours de la vie d’une veuve, interprétée par l’actrice française emblématique Delphine Seyrig. Pendant plus de trois heures, la caméra la suit méticuleusement alors qu’elle nettoie son appartement, épluche les pommes de terre, prépare le souper, nettoie les chaussures de son fils, fait des courses et se prostitue tous les après-midis. Les rituels répétitifs de sa routine quotidienne et les longs plans statiques créent simultanément un sentiment d’intimité et d’inconfort, faisant du spectateur un participant actif de l’histoire qui se déroule lentement. Ces études de drames et de scènes domestiques et relationnelles reviennent souvent dans l’œuvre d’Akerman.

Akerman réalise au total plus de 40 films, dont Les rendez-vous d’Anna (1978), Toute une nuit (1982), La captive (2000), La folie Almayer (2011) et la trilogie documentaire D’Est (1993), Sud (1999) et De l’autre côté (2002). L’œuvre d’Akerman se caractérise par une grande liberté de création, passant sans difficulté d’un genre à l’autre : du cinéma expérimental au cinéma classique, de la fiction au documentaire, de la comédie musicale à l’adaptation littéraire. Avec Golden Eighties (1986), par exemple, Akerman s’essaie à la comédie musicale tragi-comique, avec pour toile de fond la Galerie de la Toison d’Or à Bruxelles.

Outre sa filmographie, son œuvre se déploie également dans le domaine de l’installation et de l’écriture. En 1995, elle crée une vaste installation spatiale sur 25 moniteurs, basée sur le film D’Est réalisé à l’origine comme un documentaire. Elle reconfigurera en installations d’autres de ses œuvres documentaires et fictionnelles, telles que Sud (1999), De l’autre côté (2002), Là-bas (2006), Tombée de nuit sur Shanghai (2009) et La chambre (2012). L’œuvre écrite d'Akerman est également très saluée. Son œuvre la plus célèbre, Ma mère rit (2013), est un recueil de réflexions autobiographiques écrites par Akerman alors qu’elle s’occupait de sa mère mourante.

Ce recueil offre une vue d’ensemble des textes disponibles en français sur Sabzian à propos de l’œuvre de Chantal Akerman, ainsi qu’une filmographie multilingue complète et annotée.1 2

  • 1L’image provient de Collections CINEMATEK / Fondation Chantal Akerman © Micheline Pelletier / Gamma
  • 2En collaboration avec la Fondation Chantal Akerman

Texts

De 1950 à 1995

Jacqueline Aubenas, 1995
ARTICLE
13.03.2024
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« J’étais à Bruxelles, je n’aimais pas du tout le cinéma, je trouvais que c’était pour les débiles, tout ce qu’on m’avait amené voir c’était Mickey Mouse ou des choses comme ça... et puis j’ai vu Pierrot le fou et j’ai eu l’impression que ça parlait de notre époque, de ce que je sentais. Avant c’était toujours Les canons de Navarone. Et je m’en foutais de ces choses-là. Je ne sais pas, mais c’était la première fois que j’étais émue au cinéma, mais alors violemment. Et sans doute, j’ai voulu faire la même chose avec des films qui seraient les miens. » 

De 1996 à 2015

Gerard-Jan Claes, Tillo Huygelen, 2024
ARTICLE
12.06.2024
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« Je comprends les gens qui disent que c’est leur dernier film. Puis quelques années plus tard, ils en font un autre. On leur dit... vous aviez dit que… Oui, je l’avais dit. Moi, je n’ai rien dit. Mais je l’ai pensé très fort après Un divan, ça avait été trop dur... Ce n’était pas pour ça que j’avais voulu faire du cinéma après avoir vu Pierrot le fou. Là, j’étais carrément entrée dans le monde. Le monde des adultes qui se prennent pour des adultes. J'avais quitté le mineur dont parle Deleuze. Et j’étais tombée dans le bruit. Oui, avec Le divan, j’avais arrêté de ressasser ce rien dont parle ma mère quand elle dit, il n’y a rien à ajouter. »

Claire Atherton, 2015
ARTICLE
12.11.2020
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Un texte écrit et lu par Claire Atherton lors de la soirée hommage à Chantal Akerman à La Cinémathèque française, avant la projection en avant-première de No Home Movie (2015). Atherton : « J’ai envie de vous parler de Chantal. De vous dire tout ce qu’elle m’a donné, tout ce qu’elle m’a appris, tout ce qu’on a partagé. De vous raconter comme elle était, lumineuse, intelligente, surprenante, et drôle aussi... »

Sur les films de Chantal Akerman

Daniël Robberechts, 1982
Avant-propos de Bjorn Gabriels
ARTICLE
12.11.2015
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J’arrive à percevoir l’écran comme un mur (ce qu’il est) envers lequel je dois moi-même prendre position, me situer. Je suis réduit à moi-même et à mon propre temps. J’ai à déterminer moi-même ma prise de vue, mon attitude de vision, mon emploi du temps. Je puis à la rigueur m’armer de patience et me mettre à attendre le plan suivant (comme « on attend l’autobus »). Mais cela n’est pas une attitude de plaisir. Je fais mieux d’employer ce temps pour regarder au lieu de voir – et je puis regarder de sorte à oublier que j’attends quelque chose (par ex. un autobus).

Claire Atherton, 2018
ARTICLE
16.12.2020
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Trop souvent on pense qu’en montage il faut d’abord travailler la narration en trouvant la structure du film, puis le rythme en affinant les durées. Pour moi c’est impossible. Ce serait comme dissocier le fond de la forme, la pensée du sensible. Le rythme, c’est le cœur d’une œuvre, son souffle. C’est aussi l’association des couleurs, des formes, des lignes.

Chantal Akerman, 1995
ARTICLE
15.06.2016
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De vieilles images d’évacuation, de marches dans la neige avec des paquets vers un lieu inconnu, de visages qui vacillent entre la vie forte et la possibilité d’une mort qui viendrait les frapper sans qu’ils aient rien demandé. Et c’est toujours comme ça.

Boris Lehman, 1995
ARTICLE
11.09.2019
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« J’avais écrit : « tout est réglé dans la vie de Jeanne – Jeanne Dielman – jusque dans le moindre détail ». J’aurais pu ajouter : « comme sur du papier à musique ». Aujourd’hui, je dirais cela des films de Chantal, je dirais cela de ses textes : « tout est écrit jusqu’à la moindre virgule ». Méticulosité, maniaquerie, traduites jusque dans les cadres, les mouvements de caméra, le ton, le jeu des comédiens … n’est-ce pas cela qui faisait l’écriture originale et moderne de Chantal et qui rebutait justement le spectateur moyen, plus avide de chair et d’émotion que d’abstraction et de corps désincarnés ? »

Synopsis et personnages

Chantal Akerman, 1985
ARTICLE
15.04.2024
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Les morceaux de texte suivants sont issus des archives de la Fondation Chantal Akerman et font partie du matériel de travail d’Akerman pour Golden Eighties (1986). Akerman : « Une comédie où les personnages parleraient vite, se déplaceraient vite et sans cesse, mus par le désir, les regrets, les sentiments et la cupidité ; se croiseraient sans se voir, se verraient sans pouvoir s’atteindre, se perdraient sans que nous les perdions de vue pour se retrouver enfin... »

A propos de l’affiche de Les rendez-vous d’Anna

Philippe Azoury, 2024
ARTICLE
24.04.2024
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C’est donc déjà tout le génie de cette affiche de n’avoir pas choisie Anna sur un quai de gare, ou pire encore : Anna accompagnée d’un amant d’un soir, d’une mère, ou d’un ex-mari, comme ces horribles affiches actuelles qui mettent artificiellement en scène une chaîne de personnages autour d’un personnage central : Anna n’a pas besoin d’eux pour faire corps. Elle est à face à nous, de tout son poids. Elle est dans le mouvement de sa réflexion, et cette réflexion l’arrête net. Elle est à un tournant de sa vie, du mouvement de sa vie, celui où l’on interroge son désir. Le train transporte ce désir de ville en ville : Essain, Cologne, Louvain, Bruxelles-Midi, Paris Gare du Nord.

Partie 1

Eric de Kuyper, 1990
ARTICLE
25.09.2024
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1 2

Elle aimait ce dialogue du film Muriel ou le temps d’un retour. Un inconnu dans une nouvelle ville demande : « Pourriez-vous me dire, madame, où est le centre ? » Elle répond : « Mais vous y êtes, monsieur ! » Est-on déjà là ? Ou ailleurs ? Y arriverions-nous un jour ? Les repères sont dissolus, les lieux fragmentés. Des débris.

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