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Considérations à propos de l’Esprit du temps

VERTAALD DOOR TRANSLATED BY TRADUIT PAR Danielle Bourgeois

La perception 
La perception de la réalité, avec ses légendes contemporaines de la communication, se déroule dans un monde de rêve. Pour pouvoir décrire les perceptions, il nous faut détruire des émotions hiérarchiques. Les rapports hiérarchiques entre réel et irréel, actuel et passé-futur, ici et là, de même qu’entre gens, entre l’homme et la nature. 
Ceci demande une pensée dans le Temps.

Structure 
Friables, coulantes, sans forme, anguleuses ou durables (par analogie avec les structures musicales : sons longs, avalanche de notes, accents, bouillie sonore) : de telles structures ont toutes une espèce de temps propre. 
(En peinture, chaque couleur avec sa surface, rugueuse, lisse, représente un aspect du temps).

Espace 
L’œil est un œil de l’esprit. 
Par la tension entre toutes ses images et ses sons, le film crée un espace similaire à l’espace à l’intérieur d’une tête. Grâce à une magie de l’habileté manuelle, le film évoque cet espace, du moins si l’on se représente l’espace à l’intérieur d’une tête comme un espace concret, mais tendu d'une étoffe indéfinissable. Mais le film ne peut évoquer cet espace qu’au moyen de la fixation et de l’ordonnance de fragments du monde matériel, surtout si le résultat se veut concret : le film est une chose. 
(Aucun rendu de pensées ou de réalité tridimensionnelle, l’espace tridimensionnel fictif est effacé et remplacé par un espace concret entre les éléments présents dans le film).

L’œil 
Pour la confection d’un tel espace concret, il ne faut pas seulement une nouvelle ordonnance mais encore un œil actif. L’image concrète d’un monde imaginaire naît dans l’échange violent entre les formes matérielles et l’œil. 
Objet et sujet s’opposent avec une force égale.

Simplicité et complicité 
Cette thématique peut être réalisée dans chaque sujet, il en ressort que la simplicité dans la manière d’aborder le sujet ne peut faire de tort. En principe (!) un amateur pourrait également réaliser ce que je fais. Je veux avoir le moins de puissance possible sur un appareil spécialisé. La complexité se situe dans la façon de se situer – chaque fois d’une manière unique – à l’égard de chaque élément final particulier (ainsi par exemple une limitation de l’image, libre, changeante et au souffle large opposée à une composition fixée, choisie à l’intérieur du cadre de l’image).

Professionnalisme (?) 
La complexité se situe aussi au niveau de la connaissance des parfois 4 ou 5 possibilités, directions, que contient chaque image. La connaissance du matériau qu’on a sous la main est ma seule définition du professionnalisme. L’amour du matériau, pour chaque aspect de celui-ci, est le seul engagement que j’y vois, parce que seul cet amour/connaissance peut fournir une vision vécue concrète, « progressiste » sur le monde, les gens et le temps. Le reste me semble bavardage. L’engagement politique est du ressort du reportage et de l’information, mais n’est pas un mécanisme créatif particulier.

Quoique... 
La politique, cela va de soi, est une vague dans le fleuve du film. Mais même à cet égard, tout dans chaque image, doit être redéfini. La politique est également présente dans une tasse de thé. Ce n’est pas une chose plus grande qu’une autre.

Cela et comment... 
Il m’importe peu de montrer qu’une chose est comme ci ou comme ça. Il m’importe par contre, de montrer comment est la chose, comment elle est pour, dans un espace donné, comment elle est, pour être un espace donné.

Par exemple... 
Mon film Quatre murs (1965) n’est pas en premier lieu une dénonciation de la crise du logement. Par la description de l’espace habitable, le film en appelle à un espace mental, l’intérieur d’un cerveau malsain. Les murs de chaque chambre sont les parois internes d’un crâne. Au moyen de la caméra, je ne peux que laisser voir « l’apparence » de celui qui souffre de la crise du logement, alors qu’il s’agit de son opinion, de savoir comment la vie s’écoule en lui jusqu’à devenir un tas de salades pourries, un rétrécissement.

La musique 
Simultanément il faut parcourir le chemin de la libération : comment la réalité pourrait être traduite par une musique illimitée. 
Parvenir à faire entendre cette musique dans cette tasse de thé, dans un paysage ou dans la Banque des Pays-Bas, est plus de la moitié du travail.

Ma conviction…  
est qu’il faut que soient présentes autant une sujétion au matériau (à la matière) que la libération. Je n’ai pas encore tranché. 
Dans le modèle entier, que l’on ne connaît que lorsque le film est terminé, la concrétisation de l’enfer montre aussi le chemin d’une libération (note de l’auteur : trop beau pour être vrai). C’est pourquoi le film – « l’œuvre d’h-art-diesse » – est un prototype dans lequel des impulsions divergentes de la réalité sont réunies jusqu’à former un ensemble qui fonctionne.

Contradictions 
La contradiction de la vitesse et de l’arrêt. 
Vitesse, physique et de la conscience, et de la perception. L’arrêt, le maintien de la forme existante, gâchis de la forme, stagnation de la société. 
Les contradictions doivent être présentes, mais elles doivent être résolues à l’intérieur de l’œuvre. Sinon il ne se passe rien dans un film. Cette solution – qui renvoie en même temps vers une nouvelle phase d’équilibre rompu – voit le jour dans le processus de réalisation du film et dans le processus du film qui se « déroule. » 
L’aspect intellectuel de la réalisation d ’un film est le fait de rendre visible ces processus, la clarté au sujet du caractère concret des données visuelles et auditives et leur transformation. 
L’aspect émotionnel est le maintien en mouvement du flux émotionnel dans les processus, les manières innombrables que l’on peut trouver pour donner aux images leur propre accomplissement. L’émotion peut étendre un brouillard sur l’intellect.

Jazz 
Les musiciens de jazz enseignent la valeur d’un son propre, inaliénable, qui n’est pas dépendant d’une complexité technique ou intellectuelle. Le trait le plus usé, joué par Big Ben Webster n’est plus que Big Ben : son saut en chute libre dans le temps.

Le Temps-Esprit 
Dans mon nouveau film L’esprit du temps, mon propos était de parler de ce genre de choses. C’est un panorama de différents « états d’esprit » qui détermine notre période, et où se fait jour une modification rapide des mentalités des jeunes gens de la société occidentale. 
Ce changement, d’après moi, consiste surtout en cela : que la violence externe, corporelle s’est invertie et est dirigée vers l’exploration de perceptions et d’émotions propres, qui se situent en dehors du cadre militaire rigide de la société. Il s’agit d’un retour des éléments « temps et espace » dans la vie intime. 
L’esprit du temps ne se pose pas en attente, ni objectivement (négativement), ainsi que la plupart des média. Il ne s’agit pas d’un documentaire concernant un groupe circonscrit. 
Il s’agit de ma métaphore pour le changement versus arrêt. Une composition, une interaction relativement compliquée d’images, au fond, naïves. 
Le fleuve du temps, la démolition du fait. Chacun y prend ce qu’il peut et veut y trouver.

Ce texte a été initialement publié dans Vrij Nederland, décembre 1968. Cette traduction est parue à l'origine dans Johan van der Keuken. Voyage à travers les tours d’une spirale, dans Les Dossiers de la Cinématheque, numéro 16 (Montréal : Cinémathèque Québécoise, 1986).

Images de De tijd geest (Johan van der Keuken, 1968)

ARTICLE
16.10.2024
NL FR
In Passage, Sabzian invites film critics, authors, filmmakers and spectators to send a text or fragment on cinema that left a lasting impression.
Pour Passage, Sabzian demande à des critiques de cinéma, auteurs, cinéastes et spectateurs un texte ou un fragment qui les a marqués.
In Passage vraagt Sabzian filmcritici, auteurs, filmmakers en toeschouwers naar een tekst of een fragment dat ooit een blijvende indruk op hen achterliet.
The Prisma section is a series of short reflections on cinema. A Prisma always has the same length – exactly 2000 characters – and is accompanied by one image. It is a short-distance exercise, a miniature text in which one detail or element is refracted into the spectrum of a larger idea or observation.
La rubrique Prisma est une série de courtes réflexions sur le cinéma. Tous les Prisma ont la même longueur – exactement 2000 caractères – et sont accompagnés d'une seule image. Exercices à courte distance, les Prisma consistent en un texte miniature dans lequel un détail ou élément se détache du spectre d'une penséée ou observation plus large.
De Prisma-rubriek is een reeks korte reflecties over cinema. Een Prisma heeft altijd dezelfde lengte – precies 2000 tekens – en wordt begeleid door één beeld. Een Prisma is een oefening op de korte afstand, een miniatuurtekst waarin één detail of element in het spectrum van een grotere gedachte of observatie breekt.
Jacques Tati once said, “I want the film to start the moment you leave the cinema.” A film fixes itself in your movements and your way of looking at things. After a Chaplin film, you catch yourself doing clumsy jumps, after a Rohmer it’s always summer, and the ghost of Akerman undeniably haunts the kitchen. In this feature, a Sabzian editor takes a film outside and discovers cross-connections between cinema and life.
Jacques Tati once said, “I want the film to start the moment you leave the cinema.” A film fixes itself in your movements and your way of looking at things. After a Chaplin film, you catch yourself doing clumsy jumps, after a Rohmer it’s always summer, and the ghost of Akerman undeniably haunts the kitchen. In this feature, a Sabzian editor takes a film outside and discovers cross-connections between cinema and life.
Jacques Tati zei ooit: “Ik wil dat de film begint op het moment dat je de cinemazaal verlaat.” Een film zet zich vast in je bewegingen en je manier van kijken. Na een film van Chaplin betrap je jezelf op klungelige sprongen, na een Rohmer is het altijd zomer en de geest van Chantal Akerman waart onomstotelijk rond in de keuken. In deze rubriek neemt een Sabzian-redactielid een film mee naar buiten en ontwaart kruisverbindingen tussen cinema en leven.